Récemment signé à Vienne avec les grandes puissances (Etats-Unis, Russie, France, Chine, Royaume-Uni et Allemagne), l’accord final sur le programme nucléaire iranien permet à l’Iran de développer sa composante civile. Mais comment se distingue le nucléaire civil du militaire? Peut-on séparer, sans ambiguïté, le fonctionnement d’une centrale nucléaire des activités de fabrication d’armes nucléaires? La réponse est clairement non, ces deux processus aux buts radicalement différents sont intimement imbriqués à l’échelle mondiale et à chaque étape de leur développement.

L’uranium naturel, extrait d’un minerai abondant, est le composé de base du nucléaire civil et du militaire

L’uranium naturel (U) est extrait d’un minerai (pechblende) exploité dans des mines partout dans le monde, par exemple au Canada, en Namibie, au Kazakhstan, et en Australie. Il est composé de deux formes de l’atome d’uranium appelées «isotopes». Leur fraction dans l’uranium naturel varie énormément: le taux d’isotope 235 de l’uranium (U235) oscille entre 0,1% et 10% selon le site d’extraction, le reste correspondant à de l’isotope U238.

Le minerai sorti des mines est broyé et l’uranium est extrait grâce à des solvants et des solutions acides. Après séchage, on obtient une pâte jaune vif appelée «yellowcake» transformée par la suite en un gaz, l’hexafluorure d’uranium (UF6).

■ Des centrifugeuses enrichissent l’uranium en isotope U235: au moins 3% pour le civil et 90% pour le militaire

Seul l’U235 est capable de produire de l’énergie par fission d’atome. Pour faire fonctionner un réacteur nucléaire, le combustible doit contenir entre 3 et 5% d’U235 alors que pour une bombe nucléaire, la proportion d’U235 doit être d’au moins 90%! Dans les deux cas, nucléaire civil comme militaire, l’uranium naturel est enrichi en U235 selon un même processus, ce qui rend difficile les contrôles.

Deux méthodes d’enrichissement sont utilisées actuellement: la centrifugation et le laser. Pour la première, l’uranium sous forme gazeuse (UF6) est injecté dans une centrifugeuse qui sépare l’U238 de l’U235, plus léger, qui remonte. Le mélange gazeux enrichi en U235 est récupéré puis réinjecté dans une deuxième centrifugeuse, et ainsi de suite jusqu’à obtenir la concentration d’U235 désirée. La méthode par le laser est en développement et permet la séparation de l’U235 de l’U238 par ionisation, c’est-à-dire par la création de charges positives.

«Les filières d’enrichissement approvisionnant la Suisse se trouvent principalement en France, aux Pays-Bas et en Russie», précise Florian Kasser, expert de Greenpeace Suisse pour le nucléaire. Selon les accords de Vienne, l’Iran doit réduire à 5060 le nombre de ses centrifugeuses en activité en ne dépassant pas un taux de 3,67% d’enrichissement de l’uranium.

VIDÉO: Fabriquer une arme nucléaire [en anglais]

■ Les centrales nucléaires produisent du plutonium qui peut servir à la fabrication d’armes, mais aussi comme combustible pour l’énergie civile

Dans une centrale nucléaire, la réaction de fission des atomes d’U235 irradie des barres d’U238 et fabrique un atome radioactif: le plutonium Pu239. Or cet isotope de plutonium est un combustible possible pour la fabrication de bombe nucléaire. Il n’existe pas de source naturelle de plutonium, donc tout le Pu239 contenu dans une tête nucléaire provient des réacteurs civils ou du démantèlement d’armes nucléaires.

Une ogive nucléaire contient une charge d’explosif traditionnel permettant d’initier la réaction de fission en chaîne des atomes d’uranium et/ou de plutonium. Il faut au moins 50 kg d’uranium à 90% d’U235 pour la masse critique de combustible (la bombe d’Hiroshima contenait 64 kg d’U235). Il faut environ 5 kg de Pu239 pur associé à de l’U238 pour fabriquer une ogive.

«L’enchevêtrement entre nucléaire civil et militaire a toujours existé, commente Florian Kasser. Le plutonium extrait de l’usage civil peut être utilisé en militaire. Mais de nos jours, certains pays, pas tous, sont soumis à des normes dites «safe-guard» imposant une comptabilité des matériaux fissiles comme le plutonium.»

Les barres de combustibles contenant du plutonium, issues des centrales civiles, connaissent un sort différent selon les politiques nationales. Elles sont soit entreposées – seulement chez les grandes puissances du nucléaire – soit prises en charge dans une usine de retraitement pour être transformées en oxyde de plutonium qui combiné à de l’oxyde d’uranium donne un nouveau combustible, le MOX (Mixed uranium oxyde), qui peut être utilisé dans certaines centrales nucléaires civiles.

«La Suisse ne traite plus les barres irradiées qui étaient, jusqu’en 2006, envoyées dans des usines de retraitement en France et en Grande-Bretagne, précise Florian Kasser. L’uranium et le plutonium civils suisses passent cinq années en piscine, puis sont entreposés dans des silos.»

■ Le combustible du nucléaire civil provient de l’uranium naturel, mais parfois aussi du retraitement du plutonium et de l’uranium d’armes nucléaires

Sur le marché mondial, il est difficile de connaître l’origine exacte du combustible acheté par un pays pour l’industrie nucléaire civile. Le combustible des centrales provient de diverses sources: uranium naturel (UF6), uranium issu du démantèlement d’armes nucléaire après appauvrissement de l’U235 de 90% à 5% par mélange avec de l’U238, plutonium militaire ou civil mélangé à de l’uranium pour fabriquer des barres de MOX.

Depuis 2006, un moratoire en Suisse interdit l’exportation de matériel fissile; les barres de MOX usagées sont entreposées au Zwilag, le dépôt intermédiaire situé en Argovie. «Une partie du combustible suisse provient de matériel de sous-marins russes passé par des usines nucléaires en Sibérie, le reste est de l’uranium naturel, décrit Florian Kasser. L’uranium retraité est encore utilisé dans une centrale. En général il est difficile d’avoir une comptabilité claire des stocks de matériel fissile issu du militaire.»

A l’opposé, il est possible techniquement de récupérer des produits du nucléaire civil (plutonium, uranium appauvri, produits de fission, objets contaminés) pour fabriquer du matériel militaire, que ce soit des bombes nucléaires ou des bombes dites «sales» correspondant à des explosifs traditionnels dans lesquels on ajoute des débris radioactifs.

■ Pour le nucléaire militaire comme le civil, la gestion des déchets est un casse-tête

Qu’ils soient d’origine militaire ou civile, les déchets radioactifs posent le même problème de gestion à long terme. «Différentes options ont été étudiées ou testées: entreposage dans l’océan, enfouissement dans des roches profondes, des mines de sel ou des puits de pétrole. Mais pour l’instant aucune solution satisfaisante n’a été trouvée dans le monde», conclut l’expert de Greenpeace.