Sa relaxe n’a pas refermé les blessures des services de sécurité niçois. Vendredi 7 juillet, la policière municipale Sandra Bertin, contre laquelle avaient porté plainte le ministre de l’Intérieur français de l’époque Bernard Cazeneuve et l’administration de la police nationale, a été innocentée par la justice. Objet du douloureux contentieux: le dispositif de sécurité déployé, voici un an tout juste, pour protéger la Promenade des Anglais, où plus de trente mille badauds étaient venus s’agglutiner pour admirer le traditionnel feu d’artifice de la Fête nationale.

On connaît la suite tragique des événements: il est 22h33 lorsqu’un camion fou piloté par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel – un ressortissant tunisien de 31 ans domicilié dans la ville, père de trois enfants – se présente sur le trottoir sud de la Promenade des Anglais, à hauteur du numéro 65. Immédiatement, les caméras de vidéosurveillance (la métropole niçoise est l’une des plus filmées de France par 1734 caméras) prennent en charge le véhicule qui franchit le trottoir et se rue sur la foule en direction de l’est, vers la corniche et le port. Les premières victimes du terroriste tombent presque aussitôt sous les roues de son véhicule blanc de déménagement, loué sur place et avec lequel le conducteur meurtrier a effectué, dans les 48 heures précédentes, plusieurs tournées de repérage ponctuées de selfies.

Une partie des images, tournées par les caméras dont Sandra Bertin avait la responsabilité, ont été finalement publiées ce jeudi par Paris Match, provoquant une plainte immédiate des collectifs de victimes et la demande de retrait de la vente de l’hebdomadaire. Ce qu’elles montrent confirme le total chaos. La policière municipale constate que les barrages de la police nationale étaient inexistants. L’horreur se déroule à distance, sous ses yeux et sur les écrans, pendant deux très longues minutes. A 22h35 et 12 secondes, le camion s’immobilise devant le Palais de la Méditerranée. Le chauffeur, atteint par les tirs des policiers, s’écroule au volant. Au total: 86 personnes périront dans cet attentat revendiqué deux jours plus tard par Daech, via son site d’information et organe de propagande Amaq. 430 autres seront blessées.

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Que s’est-il passé en amont de cette attaque au camion fou, pour que des barrages policiers dignes de ce nom ne soient pas installés sur la promenade, comme c’est le cas désormais? Et pourquoi la police nationale, rapidement mise en cause car la sécurité des voies publiques est de son ressort, s’est-elle aussitôt crispée, refusant de répondre aux accusations des édiles niçois? Plus grave: la policière municipale Sandra Bertin a-t-elle été forcée de remanier son rapport vidéo initial à la demande du Ministère de l’intérieur, pour exonérer de leurs responsabilités des forces de sécurité particulièrement sollicitées depuis les attentats du 13 novembre 2015 et l’instauration de l’état d’urgence, toujours en vigueur?

«Un malentendu»

Un an après, Nice et les Niçois s’interrogent toujours. Premier constat de la justice, qui n’a pas retenu de charges contre Sandra Bertin: la hiérarchie policière n’a pas demandé à celle-ci de faire un «faux» ou d’altérer dans son rapport les responsabilités de la police nationale. Dans leur décision du 7 juillet, les magistrats parlent de «malentendu». La policière municipale aurait mal interprété les consignes données par Paris, qui voulait d’urgence son compte rendu. Soit. Mais le malaise demeure.

L’intéressée a toujours maintenu qu’on lui avait demandé de modifier, dans son rapport, l’emplacement des policiers nationaux pour démontrer qu’ils étaient correctement disposés. Autre malaise: la coïncidence des dates. Le 14 juillet à midi, lors de sa traditionnelle interview télévisée (qu’Emmanuel Macron a refusé de tenir cette année), l’ex-président François Hollande vient d’annoncer la fin de l’état d’urgence pour le mois de novembre 2016. Une nouvelle prolongation «n’aurait aucun sens», a-t-il dit. Les événements de la nuit résonneront comme un terrible verdict.

Quand l’attentat de la Promenade des Anglais survient, le piège se referme

L’avocat William Bourdon

L’avocat William Bourdon, auteur des Dérives de l’état d’urgence (Ed. Plon), fait un lien direct entre ce moment politique et la tragédie niçoise. «Quand l’attentat de la Promenade des Anglais survient, le piège se referme», explique-t-il. Assez juste: il faut se souvenir qu’en juillet 2016 les forces de sécurité françaises sont au bord de l’épuisement. Tout au long des mois de mai et de juin, des manifestations de policiers ont bloqué les rues de Paris et des grandes villes pour protester contre le manque de moyens et d’armement face à la menace terroriste. Au mois d’avril 2016, le général de gendarmerie Bertrand Soubelet, qui avait plusieurs fois tiré le signal d’alarme, a publié Tout ce qu’il ne faut pas dire (Ed. Plon), entraînant sa mise à l’écart. La sécurité niçoise, victime de la fatigue et d’un mauvais partage des responsabilités entre polices municipale et nationale? C’est aussi à cette question, jamais élucidée, qu’Emmanuel Macron devra répondre lors de sa visite sur place vendredi 14 juillet, en fin de journée.

Quel lien direct avec l’Etat islamique?

Dernier fantôme de l’attentat de Nice et pas des moindres: celui du conducteur du camion fou, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Après un an d’investigations, les enquêteurs n’ont pas pu établir de lien direct entre ce père de famille psychologiquement instable, marginal, violent avec sa femme, et la nébuleuse terroriste Daech. Pas de message d’allégeance. Pas de contacts préalables entre ce dernier et des recruteurs connus de l’organisation. Les armes dont il disposait – en majorité factices, sauf un pistolet de calibre 7,65 mm volé un an plus tôt lors d’un cambriolage à Vallauris – lui ont été fournies par un couple d’Albanais connu pour être en lien avec la pègre locale.

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Cinq personnes restent mises en examen pour avoir assisté le meurtrier, dont la consommation de stupéfiants (cannabis et cocaïne) est avérée. Les policiers pouvaient-ils donc repérer cet homme jamais fiché S pour faits de radicalisation islamique? «L’attentat de Nice, c’est l’horreur d’un engrenage fatal qui aurait pu facilement être évité», confesse un ancien policier au Temps. «Des plots de ciment en amont de la promenade auraient suffi. Un barrage policier au bon endroit. Un signalement plus précoce de la vidéosurveillance. Ce soir-là, tout a raté. Pour tous ceux qui avaient alors promis aux Français de les protéger, ce drame demeurera comme un échec terrible.»

Emmanuel Macron, alors ministre, avait retardé sa démission du gouvernement en raison de la catastrophe. Sur la Promenade des Anglais ce vendredi, le président Français devra trouver les mots justes pour dire aux proches des victimes, et aux Niçois, que leur Etat, ce jour-là, s’est retrouvé mis à genoux par un homme seul, malade et déterminé.