Parmi les papables, il y avait la chancelière allemande, Angela Merkel, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ainsi que les principaux négociateurs de l’accord sur le nucléaire iranien, la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, l’ex-secrétaire d’Etat américain John Kerry et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Le Prix Nobel a finalement été décerné à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), une coalition de 468 ONG présentes dans plus de cent pays.

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Pour Genève, qui abrite aussi la Conférence du désarmement, laquelle est empêtrée dans des blocages sans fin depuis plus de deux décennies, c’est une nouvelle encourageante. L’ICAN a établi son siège dans la cité du bout du Léman. S’exprimant vendredi après-midi devant la presse au Centre œcuménique des Eglises, Beatrice Fihn, directrice de l’ICAN, l’avoue: «Quand j’ai reçu un appel d’Oslo, je ne pouvais y croire. Même quand le lauréat a été annoncé, cela me paraissait irréel.»

Réaction en demi-teinte de l’OTAN

Coalition formée il y a dix ans, l'ICAN a joué un rôle central dans l’adoption, le 7 juillet dernier à New York, du premier traité d’interdiction des armes nucléaires jamais conclu qui prohibe de développer, stocker ou menacer d’utiliser l’arme atomique. Soutenu par 122 Etats membres de l’ONU, le traité a été snobé par les puissances nucléaires reconnues dans le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et par la presque totalité des Etats membres de l’Alliance atlantique.

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Vendredi, le patron de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a réagi avec la plus grande réserve à l'annonce du nouveau lauréat du Nobel de la paix: «L’OTAN regrette que les conditions pour aboutir à un désarmement nucléaire ne soient aujourd’hui pas favorables», ajoutant qu’il importait de prendre en compte «les réalités de l’environnement de sécurité actuel». Plusieurs survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, appelés les «hibakusha», ont salué ce moment historique.

Danger majeur de dérapage

Cette reconnaissance du Comité norvégien du Prix Nobel intervient à un moment critique. Comme le souligne Berit Reiss-Andersen, présidente du comité, «nous vivons dans un monde où le risque que les armes nucléaires soient utilisées est plus élevé qu’il ne l’a été depuis longtemps. […] Certains pays modernisent leurs arsenaux nucléaires, et le danger que plus de pays se procurent des armes nucléaires est réel, comme le montre la Corée du Nord.» D’un côté, l’escalade des tensions entre les Etats-Unis et Pyongyang pose un danger majeur de dérapage. De l’autre, le président américain, Donald Trump, est sur le point de «décertifier» l’accord sur le nucléaire iranien, contre l’avis de ses conseillers et des autres puissances négociatrices, la France, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie et l’Allemagne.

S’il y a un moment où il importe de s’opposer aux armes atomiques, c’est maintenant

Beatrice Fihn, directrice de l’ICAN

A Genève, la Suédoise Beatrice Fihn n’a pas caché son appréhension face à de possibles décisions catastrophiques du président américain: «Si vous êtes mal à l’aise avec l’idée que Donald Trump puisse avoir des armes nucléaires […], alors vous devez vous sentir mal à l’aise avec l’idée même des armes nucléaires. […] C’est pourquoi s’il y a un moment où il importe de s’opposer aux armes atomiques, c’est maintenant.» Le monde recense quelque 15 000 têtes nucléaires, dont 90% sont en possession des deux grandes puissances de la Guerre froide, les Etats-Unis et la Russie. En 2010 à Genève, elles ont réussi à s’entendre pour conclure un nouveau traité Start de réduction des armes nucléaires stratégiques à 1500 têtes chacun d’ici à février 2018.

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Le précédent Obama

La dénucléarisation de la planète tient manifestement à cœur au Comité du Prix Nobel. En 2009, il avait attribué son prix à la surprise générale au président Barack Obama, fraîchement installé à la Maison-Blanche, en premier lieu pour son discours mémorable tenu à Prague en avril de la même année. Rêvant d’un monde sans armes nucléaires, Barack Obama n’a pas pu concrétiser sa vision. Il a même surpris ses conseillers en autorisant, vers la fin de son mandat, une modernisation de l’arsenal nucléaire américain pour un coût de 1000 milliards de dollars sur trente ans. «Son discours fut toutefois très important, souligne Beatrice Fihn. Il a mis la pression sur les autres Etats nucléaires.» En 2005, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), basée à Vienne, avait aussi eu droit aux honneurs du Nobel.

La présidente de la Confédération, Doris Leuthard, a elle déclaré sur Twitter: «Le Prix Nobel de la paix décerné à l'ICAN est un fort encouragement pour tous ceux qui se battent pour un monde sans arme nucléaire. Il envoie un signal important à un moment où les armes nucléaires présentent un risque croissant.»