Le Cap, 11 février 1990. La chaleur est étouffante, le soleil de l’été austral assomme la foule. Certains ont passé là un bout de la nuit. On a annoncé qu’aujourd’hui Nelson Mandela pourra quitter sa liberté surveillée. Il est attendu en milieu de journée sur la grande place de l’hôtel de ville. Alain Guidetti, jeune diplomate alors en poste au Cap, rejoint les milliers de personnes présentes.

50’000, 80’000, 100’000 personnes peut-être se pressent sur la place. Chantent, esquissent quelques pas de danse, même si l’espace est restreint. Des gens s’évanouissent sous le coup de la chaleur. La foule est essentiellement composée de noirs qui sont là pour saluer le retour sur la scène publique du prisonnier de Robben Island. Quelques blancs aussi, et pour tout le monde, le sentiment de participer à un tournant de l’histoire du pays. L’ambiance est à la fête, l’atmosphère est joyeuse, malgré les éclats que certains mécontents tenants du régime de l’apartheid font entendre au fond de la place.

Quelques coups de feu claquent, sans faire de victimes, témoins pourtant des tensions que suscite la libération de Nelson Mandela, figure de proue du Congrès national africain (ANC). Le gouvernement de Frederik De Klerk s’engage dans le démantèlement du système ségrégationniste de l’apartheid en levant l’interdiction qui pesait sur l’ANC, en libérant ses leaders emprisonnés depuis plus de 20 ans. Une frange de la minorité blanche, inquiète de perdre ses privilèges, réalise que le pouvoir risque de passer à la majorité noire du pays, tente d’effrayer la foule rassemblée et de signifier que le chemin vers l’égalité au sein du pays ne sera pas possible.

Le discours de Mandela ce jour-là réaffirme avec force que la seule voie que l’Afrique du Sud peut et doit choisir, c’est celle de la démocratie, qui passera par une véritable réinvention du système politique dans son ensemble et qui verra la construction d’une nouvelle société fondamentalement démocratique, non raciale et unitaire.

Pour Alain Guidetti, l’ambiance qui dominait à ce moment-là témoignait de l’optimisme d’une grande partie de la population qui attendait l’avènement de la démocratie, un changement durable des institutions et de la société. L’image de Mandela qu’Alain Guidetti garde en mémoire est celle d’un homme profond et modeste, qui n’a pas laissé son image publique prendre le dessus sur ce qu’il était. En témoigne un autre souvenir: lors de l’une de ses visites à Genève, Nelson Mandela s’est spontanément approché de la femme du diplomate et de sa fille en poussette, sur les bords du lac et a joué quelques instants avec l’enfant. En toute simplicité, et sans aucune intention de se mettre en scène devant les caméras.