Pourtant le colonel Viktor Bezougli, chef du détachement d'hélicoptères dont faisait partie l'appareil crashé, se montre catégorique et exclut toute panne: «J'ai suivi personnellement le contrôle technique que cet appareil venait de subir. Il était en parfait état de fonctionnement.» De même, les premiers juges d'instruction arrivés sur place penchent plutôt pour un attentat, ayant découvert «des traces d'impacts extérieurs sur la carcasse de l'hélicoptère». L'un d'eux, en réponse à l'assertion de Sergueï Iastrjembski selon laquelle le crash aurait eu lieu dans une région «totalement sous contrôle russe», se montrait catégorique: «Il n'y a pas de régions sécurisées ici, c'est de la fiction de journaliste. Cet hélicoptère a bien été abattu.» Le parquet a d'ailleurs ouvert une enquête pour une affaire de droit commun, et Iastrjembski a indiqué que «le président Poutine suivait personnellement l'enquête de très près, c'est un cas spécial», deux considérations qui paraissent bien accréditer la version de l'attentat.
La partie tchétchène donne par ailleurs des précisions techniques: l'hélicoptère aurait été abattu avec un missile antiaérien mobile «Igla» de fabrication russe. Pour elle, le fait que les Russes laissent toutes les hypothèses ouvertes ne signifie qu'une chose: «Ils reconnaissent implicitement que ce n'est pas un accident.»
Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi la version de l'accident arrangerait tellement les Russes. Ce deuxième massacre de hauts galonnés russes, après une attaque similaire en septembre dernier qui avait causé la mort de 13 officiers, représente un succès certain pour une guérilla que Moscou présentait volontiers ces derniers temps comme à bout de souffle et coupée de ses soutiens logistiques et financiers en provenance d'Afghanistan et des réseaux Ben Laden. Et puis, avec ces deux seules attaques, la guérilla tchétchène est parvenue à éliminer autant d'officiers russes que l'armée russe de chefs rebelles en plusieurs mois de ratissages sanglants dans les villages.
Matériel sophistiqué
En septembre, un officier de haut rang, le général Baranov, s'était inquiété de voir les Tchétchènes étendre cette tactique visant les commandants russes, habitués à se déplacer en hélicoptère pour éviter les attentats terrestres, à l'aide d'un matériel antiaérien sophistiqué, souvent de conception russe mais acheté à l'étranger. D'après Baranov, les Tchétchènes pourraient être en mesure d'attaquer avions et hélicoptères russes non seulement en Tchétchénie mais dans toute la Russie: «J'aimerais avertir ceux qui livrent aux rebelles un tel matériel que nous saurons les retrouver, quel que soit le pays dans lequel ils opèrent.»
Les observateurs russes à Moscou soulignent d'ailleurs ce point marqué par la guérilla. «C'est un sérieux avertissement donné aux autorités russes, pour qu'elles cessent de prétendre qu'il n'y a plus de combats en Tchétchénie, estime par exemple Alexandre Ziline, analyste militaire pour l'hebdomadaire Les Nouvelles de Moscou. Leurs troupes, là-bas, se comportent comme des cibles faciles sans aucune stratégie viable.»