Depuis des semaines, l’Organisation mondiale de la santé est montrée du doigt. Les fréquentes attaques de Donald Trump, qui veut retirer le soutien américain, fragilisent l’institution basée à Genève. Le point en quatre articles.

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Les propos de Donald Trump claquent encore dans le ciel assombri au-dessus de l’Organisation mondiale de la santé. Cette dernière aurait «très mal géré et caché» la menace posée par le nouveau coronavirus. Pour le président américain, l’OMS est un «instrument» de la Chine communiste.

La Maison-Blanche, empêtrée dans une gestion calamiteuse de la pandémie, est convaincue d’avoir été privée d’informations vitales par l’OMS pour se préparer à la pandémie. Une accusation mise en pièces par le Washington Post qui souligne que des experts du Département américain de la santé, des Centres américains de prévention et de contrôle des maladies (CDC) et des Instituts nationaux de la santé ont rencontré deux fois des responsables de l’OMS à Pékin dans la semaine du 6 janvier, trois fois dans celle du 13 janvier. Les contacts se multiplient et se poursuivent en février et en mars. De plus, 17 experts des CDC travaillent à plein temps pour l’OMS à Genève au moment de l’apparition du coronavirus, selon le quotidien américain, et transmettent des informations en temps réel à l’administration Trump.

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Cette dernière n’est certes pas la seule à blâmer l’institution genevoise, qui devra faire son autocritique après la pandémie. Nombre de républicains américains et d’autres instances sont aussi critiques. Mais à l’échelle des Etats, on reste attaché à l’OMS, même si Washington brouille la donne. Dimanche dernier, un sommet virtuel du G20 présidé par l’Arabie saoudite aurait dû publier un communiqué déjà rédigé et durement négocié engageant ses auteurs à renforcer le mandat de l’OMS. Mais les Etats-Unis s’y sont opposés. Ils étaient les seuls…

Remonter le fil des événements

Au sein de l’agence onusienne, la crise est désormais ouverte, les Etats-Unis ayant suspendu une bonne partie de leurs contributions volontaires. Qu’a fait concrètement l’OMS depuis le début de la pandémie de Covid-19? Pour se faire une idée de son action, remontons le fil des événements. Quand elle apprend par la Chine, le 31 décembre 2019, que des cas de pneumonie ont été identifiés à Wuhan, dans la province chinoise de Hubei, elle met le 1er janvier déjà une équipe en place au siège genevois, dans les centres régionaux et en Chine. Au bout du Léman, le Centre stratégique d’opérations sanitaires, la situation room de l’OMS, entre en action. Ce sont à cette date les informations dont dispose l’OMS. On apprendra plus tard que les premiers cas décelés en Chine remontent au moins au 17 novembre.

Le 4 janvier, l’OMS confirme les cas de pneumonie à Wuhan par les réseaux sociaux, mais aucun mort à signaler. Le 5 janvier, première publication de l’OMS destinée à alerter la communauté scientifique et les experts de santé publique, le Disease Outbreak News. Cinq jours plus tard, l’organisation publie en ligne des conseils techniques destinés à ses 194 Etats membres sur la manière de dépister, de tester et de gérer des personnes infectées, mais aussi de protéger le personnel médical. Le 14 janvier, première conférence de presse. Directrice de l’unité des maladies émergentes à l’OMS et responsable technique pour le Covid-19, l’Américaine Maria Van Kerkhove sonne le tocsin. Elle est la première à déclarer publiquement qu’il y a des preuves que le coronavirus détecté en Chine pourrait se transmettre de personne à personne. Le même jour, l’OMS tweete toutefois les résultats d’une étude préliminaire chinoise qui indique qu’il n’y a pas de transmission de personne à personne. Le message est brouillé.

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Susceptibilité chinoise

Le 22 janvier, des experts du monde entier défilent virtuellement sur les écrans du Centre stratégique. Il s’y tient le premier comité d’urgence formé de 15 membres et de six conseillers issus de nombreux pays, notamment occidentaux et américains. A ce moment, la Chine s’oppose à une déclaration d’urgence sanitaire de portée internationale, un mécanisme très contraignant pour le pays concerné. Les experts sont divisés. «C’est du 50-50, mais les divisions sont d’ordre scientifique», précise au Temps un membre du comité. Il faudra attendre le 30 janvier pour que l’OMS déclare l’urgence. La Chine est «connue pour son énorme susceptibilité», relève un diplomate basé à Genève. Fort de cela, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, se rend à Pékin, où il rencontre le président Xi Jinping. Il veut s’assurer à tout prix la coopération de Pékin, mais pour ce faire se montre beaucoup trop élogieux envers la Chine. Le 22 janvier, la Chine n’était toutefois pas seule à refuser la déclaration d’urgence. Des pays occidentaux représentés au sein du comité d’urgence y étaient aussi opposés.

Le 3 février, l’OMS publie son plan stratégique de préparation et de riposte pour aider les Etats vulnérables. Le 16 février, une mission conjointe Chine-OMS est menée pendant une semaine à Pékin et à Wuhan. L’OMS aurait aimé mener une telle mission en janvier déjà. Mais Pékin n’y était pas favorable. Son rapport sera très lu, mais jugé trop complaisant. Le 11 mars, enfin, l’OMS déclare la pandémie. Rien d’exceptionnel ici. Après la déclaration d’urgence, le passage au stade pandémie est presque une question rhétorique.

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Le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus et ses adjoints tiennent quotidiennement puis trois fois par semaine des conférences de presse à partir de février. Au début mars, le nombre de morts du Covid-19 dans le monde s’élève à 3000. Tedros Adhanom Ghebreyesus tire la sonnette d’alarme: «Nous sommes préoccupés par le fait que, dans certains pays, le niveau d’engagement politique et les actions qui démontrent cet engagement ne correspondent pas au niveau de la menace à laquelle nous sommes tous confrontés.» Depuis, l’OMS est sur tous les fronts, scientifique, humanitaire, opérationnel. Ces jours, elle aimerait envoyer un groupe d’experts en Chine pour enquêter sur l’origine du virus, mais elle attend toujours le feu vert de Pékin. Professeur à la Queen Mary University of London en santé globale, Andrew Harmer est catégorique: «Au vu de ce que l’OMS a fait ces trois derniers mois, elle est dans une position renforcée au vu de son pouvoir normatif et de coordination. Regardez en Afrique à quel point ce continent compte sur l’OMS.»