Les plates-formes en mer sont-elles plus dangereuses que les sites
de forage à terre?
Jean Guesnon: Les contraintes en mer sont plus nombreuses car ces plates-formes de forage, qui sont en grande majorité flottantes, doivent affronter les vents, les courants et la houle. Les risques liés au puits sont aussi plus compliqués à surmonter. Dans le cas de la plate-forme louée par BP, Deepwater Horizon, la tête de puits était sous l’eau, à 1500 mètres de profondeur, donc inaccessible, à l’inverse d’une tête de puits terrestre qui est à la portée du foreur. Or cette tête est un équipement crucial où sont installées les vannes qui permettent, en cas d’éruption, d’isoler le puits de l’extérieur.
Un forage ne présente pas de danger immédiat tant que le puits est maintenu «en équilibre», c’est-à-dire que la pression du gisement à l’intérieur des formations rocheuses est contrebalancée par la pression de la boue envoyée dans la colonne de forage. Lorsque cet équilibre est rompu, une situation d’éruption est créée et il faut d’urgence fermer les vannes, qui doivent résister à des pressions pouvant aller jusqu’à 1034 atmosphères. A titre de comparaison, c’est la pression qui s’exerce à 10 000 mètres sous la mer.
– Ce sont ces vannes qui semblent ne pas avoir fonctionné sur la plate-forme de BP…
– Deepwater Horizon date du début des années 2000. Quand l’accident s’est produit, la plate-forme était en train de finir le forage du puits et s’apprêtait à aller en explorer un autre dans le golfe du Mexique. Deepwater Horizon a déjà dû forer plusieurs dizaines de puits. Personne ne sait encore ce qui s’est passé précisément, mais il semble que les vannes ne se soient pas actionnées correctement. Du coup, le pétrole et le gaz sont remontés, et, le gaz remontant plus vite, il y a eu explosion. Les vannes, qui sont des éléments prépondérants de la sécurité, sont hydrauliques et commandées à distance depuis la plate-forme par des signaux électriques. Qui plus est, si une séquence du processus de fermeture ne se produit pas, une autre vient à son secours. Tout cela est très codifié.
– Comment sont contrôlées les plates-formes?
– Une plate-forme de forage a une durée de vie d’au moins vingt ans. Environ tous les cinq ans, elle doit partir en cale sèche pour y subir des opérations de carénage et de contrôle. Ces plates-formes sont inspectées et homologuées par de grandes sociétés de certification. De plus, elles doivent obéir à des règles supplémentaires quand elles sont dans les eaux territoriales d’un pays. Aux Etats-Unis, elles doivent, par exemple, se plier aux exigences de l’agence fédérale Minerals Management Service.
– Dans ces conditions, comment expliquer les accidents?
– Les opérations sur les plates-formes se complexifient. On fore de plus en plus loin sous l’eau et de plus en plus en profondeur dans la roche. Deepwater Horizon travaillait à 1500 mètres sous l’eau et forait un puits de 4800 mètres. En tout, on dépasse 6000 mètres. Certaines opérations excèdent 10 km! Malgré les règles strictes de sécurité appliquées, il peut y avoir une conjonction d’événements conduisant à une défaillance technique ou humaine.
– Une plate-forme a de multiples opérateurs. N’est-ce pas là aussi un facteur de risques?
– Beaucoup d’intervenants sont dans la boucle: le «contracteur» de forage, propriétaire de la plate-forme (dans le cas de BP, la société suisse Transocean), la compagnie pétrolière qui supervise les opérations, les sous-traitants comme Schlumberger, Halliburton, etc. Autant de personnes (150 en général) qui doivent apprendre à travailler ensemble et à suivre les mêmes règles de sécurité. C’est une difficulté supplémentaire, surtout quand un accident se produit.