Jean XIII et Jean Paul II pourraient être canonisés dès cette année, dit-on dans les couloirs feutrés du Saint-Siège. Ces échos résonnent dans La Croix, qui a bien lu le blog «Vatican Insider» de La Stampa. Mais cela ne saurait cacher le vrai scandale qui agite le Saint-Siège: selon des connaisseurs de la papauté, les démissions du directeur de l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), plus trivialement dit la «banque du Vatican», Paolo Cipriani, et de son adjoint, Massimo Tulli, seraient en réalité des limogeages. Et ces deux départs s’inscriraient dans une accélération de la reprise en main de la banque par le pape François.

Bonne nouvelle! La presse italienne, dans son ensemble, s’en félicite, d’ailleurs. Selon le Corriere della sera de mardi, cette mise à l’écart est «opportune» et augure un «projet radical de renouveau» au Vatican. Quant à La Repubblica, elle juge que ce renouveau, justement, présage «une révolution non seulement en termes de structures mais également de personnes».

Des «liens d’amitié»

L’enquête qui poursuit les financiers de la papauté a commencé en 2010 avec la spectaculaire mise sous séquestre de 23 millions d’euros appartenant à l’IOR après des mouvements suspects entre des comptes de l’Institut en Italie et en Allemagne. Selon l’agence Ansa, son ancien directeur, Ettore Gotti Tedeschi, devrait bénéficier d’un non-lieu alors que Cipriani et Tulli vont probablement être renvoyés en justice.

Sur ce coup-là, plusieurs médias ont parlé de liens d’amitié entre les deux hommes et Mgr Nunzio Scarano, ex-chef de la comptabilité de l’APSA, l’agence qui gère le patrimoine du Vatican. Mgr Scarano a été arrêté vendredi dernier à Rome pour avoir rapatrié 20 millions d’euros, «fruits d’une fraude fiscale», d’UBS Lugano vers ses comptes à l’IOR, explique le site TicinoLive.

Réputation «sulfureuse»

L’affaire tombe en tout cas mal pour le Vatican, qui vient de lancer «une commission chargée d’enquêter en profondeur» sur l’IOR. «Celle-ci possède une réputation sulfureuse», confirme La Vie, en particulier depuis que cette enquête «pour violation de la législation contre le blanchiment d’argent» a été ouverte.

Dans les faits, «l’IOR gère 19 000 comptes appartenant en majorité aux membres du clergé catholique, soit environ 7 milliards d’euros, précise Marianne. En 2007, le Saint-Siège accusait un déficit d’environ neuf millions d’euros. Mais c’est sans compter divers placements. Selon un document secret, le Vatican disposait en 2008 de 340 millions d’euros en devises, 520 millions en obligations et une réserve d’or contenant une tonne de lingots, soit 19 millions.»

Révolution en marche

Alors, l’IOR est-il vraiment si opaque? «Si de nombreux journalistes et spécialistes du Vatican» l’ont souvent dénoncé comme tel, «d’autres comme Jean-François Colosimo, théologien et spécialiste du Saint-Siège, soulignent que le secret est nécessaire pour soutenir les congrégations religieuses persécutées, tels que les chrétiens de Chine ou Solidarnosc au temps de l’URSS. Nommé quelques jours avant la démission du pape Benoît XVI, le nouveau président l’IOR, l’Allemand Ernst von Freyberg, a promis de faire vérifier un par un les comptes de l’IOR par l’agence américaine de consultants financiers Promontory

Pour le journal économique Il Sole 24 Ore, ces événements sont «les premiers résultats de la cure imposée par le pape François». Ce que les vaticanistes qualifient de «révolution» a commencé à la mi-juin par la nomination de Mgr Battista Ricca au poste de «prélat» de l’IOR. L’homme de confiance du pape fait office de numéro deux qui a droit de regard absolu. De plus, la semaine passée, Jorge Bergoglio a institué par un document écrit de sa main une commission formée de quatre religieux et une laïque chargée d’inspecter l’IOR et de proposer une réforme dont les grandes lignes devraient être connues en octobre.

«Le crottin du Diable»

Ces récents bouleversements ne surprennent pas le cardinal Angelo Bagnasco, chef des évêques italiens. Pour Il Fatto quotidiano – qui titre «Le pape chasse tout le monde» – celui-ci n’entend «pas abolir l’IOR mais il veut le ramener à son rôle initial d’assistance financière du Vatican» et empêcher «que s’infiltrent dans l’IOR des personnes qui n’ont rien à voir avec l’Eglise». D’autant que cette institution est «controversée depuis plusieurs années pour son rôle dans plusieurs scandales financiers au cœur de la Cité-Etat», précise Radio France internationale.

Ces deux «démissions» sont donc bien, en réalité, affirme Courrier international, «une nouvelle étape dans la grande opération de nettoyage voulue par le pape François», dans la foulée de Benoît XVI: «depuis son élection», il «multiplie les déclarations et ne cesse de répéter qu’il souhaite que la banque du Vatican se conforme aux critères internationaux de transparence dans la lutte contre le blanchiment et l’évasion fiscale. Après «70 ans de pratiques peu orthodoxes», résumés dans la chronologie proposée par Euronews et par un article passionnant du Point, qui conclut: «Pape François est déterminé à n’épargner personne dans sa guerre contre l’argent sale, ce «crottin du Diable» dénoncé en son temps par l’évangéliste saint Marc».

«Un tournant radical»

Et le journal en ligne Linkiesta de commenter: «Il paraît désormais évident que le pontificat de Francesco entre dans le vif du sujet […]. Nous sommes face à un changement d’époque: l’ère de la Curie romaine, de l’IOR et de ses ramifications avec les pouvoirs bancaires, économiques et politiques de notre pays, est en train de se terminer. L’arrivée d’un pape argentin, d’experts étrangers de la finance, l’activisme des Eglises américaines et de ses représentants au Vatican sont autant de signaux qui indiquent un tournant radical, des changements profonds dans la manière qu’a l’Eglise de se penser universelle.»

«L’ambition est en tout cas de moraliser les activités de la banque», lit-on encore dans La Vie. Comme le note le journal américain National Catholic Reporter, les enquêteurs ont été choisis pour leur «rectitude morale». Et le vaticaniste John Allen, dans le même média, ne dit pas autre chose dans son dernier éditorial lorsqu’il explique que le pape «veut une confirmation indépendante que tout est bien honnête».

Des relations avec la mafia

Comme le rappelle aussi le blog «Whispers on the Loggia», «peu après l’élection de François, nombreuses étaient les spéculations prédisant que le pape pourrait vouloir fermer cette banque dont des décennies de connexion avec le scandale ont conduit à en faire un bouc émissaire facile». Parmi ces «connexions avec le scandale», on compte entre autres des relations avec la mafia. Certains mafiosi auraient en effet utilisé des prête-noms pour placer l’argent sale de la pègre au sein de la banque du Vatican, ce afin de le blanchir.»

On n’est donc, semble-t-il, pas au niveau de «petites» affaires. Comme le note Jean-Marie Guénois, journaliste au Figaro et spécialiste des questions religieuses sur Twitter, «le directeur de la banque du Vatican est une pièce maîtresse, un «intouchable» de l’ancien système qui tombe. L’ère François débute.»