Son témoignage, terrifiant, fait état d'un véritable massacre orchestré par les forces américaines. Derrière elle, le vieil Hassan s'agite puis hurle: «Le sang des martyrs n'est jamais stérile.» Lui aussi sort de l'enfer de Falloujah. Après avoir perdu plusieurs membres de sa famille, il a fui «les bombardements aveugles des Américains». «Les soldats ont fracturé des portes pour entrer dans les maisons. Ils criaient: «Où sont les résistants, dites-le nous sinon on vous tue.»
Aujourd'hui, Hassan affirme être sans nouvelles du mari de sa sœur. Sac sur la tête, M16 braqué sur la tempe, il a été enlevé par les Américains. Les raisons? Il ne les connaît pas. Terrorisé, l'homme a fui par la route. La traversée du désert a été rude sans vêtement, ni eau et nourriture. «Même les animaux, on ne les traite pas de la sorte. Que veut George Bush?» lance-t-il.
Crimes à jamais impunis
Les témoignages se recoupent tous. A sa manière, le docteur Mohammed Jumaa est un rescapé de Falloujah. Il a dû, il y a deux semaines, quitter précipitamment la ville. Le camp de la Croix-Rouge, récemment mis sur pied, a été visé par les forces américaines. «Ils nous ont demandé par haut-parleur de cesser nos activités puis nous ont aussitôt bombardés», dénonce-t-il. Les soins dispensés aux blessés auront été de courte durée. Témoin des exactions commises par les Américains, il raconte: «J'ai ramassé les corps de deux hommes d'une trentaine d'années. Ils avaient les yeux bandés, les mains attachées dans le dos. Leurs jambes et thorax étaient remplis d'ecchymoses.» A demi-mot, Mohammed, aujourd'hui responsable du camp de Bagdad, parle de tortures infligées à la population. Autant de crimes qui, selon lui, resteront à jamais impunis.
Récemment installés dans ce camp de fortune, les réfugiés de Bagdad espèrent pouvoir rentrer chez eux. «Ici, on manque de tout. Depuis notre départ de Falloujah, nos enfants souffrent de diarrhées, d'allergies. On n'en peut plus, on veut rentrer chez nous», disent-ils. L'intensification des combats sur place ne va pas dans ce sens. La semaine dernière, Mark Kimmit, responsable adjoint des opérations militaires de la coalition, affirmait à Bagdad qu'il s'agissait «probablement de l'offensive la plus significative depuis la fin de la guerre», officiellement déclarée le 1er mai 2003.
Après une semaine de combats, ponctués par des cessez-le-feu jamais respectés, les hauts gradés américains estiment que la résistance à Falloujah est organisée par plusieurs centaines de combattants de l'ancienne Garde républicaine spéciale (ex-unité d'élite de l'armée de Saddam Hussein), les services de renseignements du Moukhbarat, les services spéciaux, des habitants ultraconservateurs et des combattants étrangers. Lorsqu'on demande aux réfugiés de Falloujah qui sont ces combattants arabes, les voix se taisent. Hors micros, quelques-uns évoquent la présence de Syriens, Jordaniens ou encore Palestiniens. Selon certains témoins, ces milices locales, très bien organisées, disposeraient d'armes de tous types: kalachnikov, mortiers, lance-roquettes, roquettes antichars et même des missiles sol-air russes Strela. Difficile à prouver.
Recroquevillée sous sa toile de tente, Jadida Djedou n'ose plus croire à des jours meilleurs. «A quoi bon vouloir nous détruire? Nous sommes déjà morts», dit-elle. Les larmes versées, la douleur et l'espoir manqué l'ont consumée. Pour elle, la vie s'est arrêtée le 9 avril dernier.