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La paix contre l'immunité du président voyou

Charles Taylor se voit offrir «un asile politique sûr» par le Nigeria. La justice serait mise hors jeu deux fois. Le président libérien déchu échapperait à toute arrestation tout en restant inculpé par le Tribunal spécial sur les crimes de guerre en Sierra Leone. Ses soldats qui ont perpétré les massacres seraient eux aussi intouchables.

«Lundi prochain, à 11 h 59, je céderai mes pouvoirs et un nouveau président libérien devrait prêter serment à midi.» Habitué à faire volte-face, l'actuel et sanguinaire président tiendra-t-il parole alors qu'arrivent à Monrovia les premiers éléments de la force de stabilisation? Partira-t-il en exil, comme l'exigent les Américains et les Etats de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao)? L'issue est encore incertaine, car Charles Taylor vient de conditionner son départ à l'étranger à l'assurance qu'il ne sera pas jugé pour ses crimes. L'impératif de la recherche de la paix va-t-il l'emporter sur la justice? Le 4 juin dernier, le président et ancien guérillero a été inculpé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par le Tribunal pénal semi-international de la Sierra Leone. Les miliciens de Taylor sont accusés d'avoir participé au bain de sang qui a endeuillé la Sierra Leone durant l'impitoyable guerre civile. Jeudi dernier, Charles Taylor excluait que la paix puisse prévaloir dans son pays s'il n'obtenait pas les garanties d'une immunité: «La question de mon inculpation est capitale pour l'avenir de la paix au Liberia. Cet opprobre doit être levé. Comment? Ce n'est pas mon problème, mais elle doit être levée», martelait-il au cours d'une conférence de presse. En coulisse, un «marché» a, semble-t-il, été désormais conclu. Cet arrangement permettant à Charles Taylor de vivre hors d'atteinte de ses juges.

Le Nigeria a, en effet, proposé à Charles Taylor «un asile politique sûr». Tout porte désormais à croire qu'une solution a été trouvée: «Charles Taylor restera inculpé par le Tribunal de la Sierra Leone, mais s'il accepte de se retirer de la vie politique du Liberia et de partir au Nigeria, il pourra continuer de vivre libre. D'autant que, contrairement aux Tribunaux pénaux internationaux de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda, les Etats n'ont pas d'obligation légale d'extrader des personnes inculpées par le Tribunal de la Sierra Leone», affirme au Temps John Greenwald, vice-président du thinktank européen, l'International Crisis Group (ICG), basé à Bruxelles.

Tout porte donc à croire que la justice sera mise une double fois hors jeu au Liberia. Car non seulement Taylor devrait échapper à toute arrestation, mais aussi, sous la pression des Etats-Unis, le Conseil de sécurité de l'ONU a autorisé par la résolution 1497 l'envoi d'une force multilatérale au Liberia placée hors de la juridiction de la Cour pénale internationale. Cela signifie qu'au cas où certains de ses soldats seraient suspectés d'avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité au Liberia, ils ne pourraient être poursuivis par le Tribunal de La Haye. La France, l'Allemagne et le Mexique se sont abstenus de voter cette résolution. «Ce paragraphe (garantissant l'immunité) n'a rien à voir avec la mission au Liberia», a regretté l'ambassadeur allemand auprès de l'ONU, Günter Pleuger. En juillet dernier, les Etats-Unis avaient déjà obtenu une dérogation identique pour les contingents de la force de stabilisation déployés en Bosnie. Cette volonté de torpiller la CPI fait fulminer les organisations des droits de l'homme: «Les Etats-Unis jouent au poker avec la vie des Libériens. Ils ont détourné les bonnes intentions de la communauté internationale au bénéfice d'une croisade idéologique contre la justice internationale», affirme Richard Dicker, de Human Rights Watch, cité par Reuters.

La détermination de l'administration Bush à torpiller la justice internationale ne faiblit donc pas. Ces dernières semaines, les Etats-Unis ont menacé de couper l'aide humanitaire promise aux Etats des Caraïbes, victimes d'un ouragan, s'ils ne s'engageaient pas à ne jamais extrader un ressortissant américain à la prison de la CPI. Désormais, sous les intenses pressions américaines, une cinquantaine d'Etats ont accepté de ne pas collaborer avec la CPI, dès que les Etats-Unis sont en cause. Simultanément, la Belgique a renoncé la semaine dernière à sa loi jusqu'ici très large sur la compétence universelle relative au crime contre l'humanité. La semaine dernière, aussi, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, incité par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, a recommandé une refonte du poste de procureur des tribunaux onusiens qui aura pour effet d'évincer Carla Del Ponte de son poste au Tribunal pénal international pour le Rwanda. De quoi satisfaire le gouvernement de Kigali qui veut mettre un terme à certaines enquêtes embarrassantes ouvertes par la Suissesse.