Construit à l'époque du Mur (1962), le hall vitré couleur gris muraille a été pendant les vingt-huit années d'existence de la séparation entre Berlin-Ouest et Berlin-Est le lieu de passage obligé pour les habitants des deux bords qui rendaient visite à leur famille. Il fut aussi le théâtre de multiples tentatives de fuite organisées par des ressortissants de l'ex-RDA - le pays du «socialisme authentique» où l'on votait avec ses pieds - qui tentèrent de passer à l'Ouest avec de faux passeports.
Des airs de Broadway
C'est ainsi que, par un trait d'humour tragique qui les caractérise, les Berlinois de l'Ouest avaient surnommé cet endroit si peu romantique le «Tränenpalast», ou Palais des larmes. Après la chute du Mur, le bâtiment, qui n'avait gardé que quelques dérisoires reliques de son utilisation policière, fut transformé en salle de spectacle apte à accueillir la scène musicale berlinoise en pleine ébullition depuis la réunification. Nina Hagen, Prince et beaucoup d'autres défilèrent dans ce lieu qui se présentait comme le pôle avant-gardiste de la musique au même titre que le célèbre Berliner Ensemble - qui lui fait face - l'était pour le théâtre, le Friedrichstadtpalast pour le cabaret, etc. Berlin-Mitte se prenait alors pour Broadway.
Mal lui en prit, car les premières années du nouveau siècle firent vite apparaître les limites économiques de cette euphorie. La société gérante de la salle de spectacle connut de graves difficultés financières et fut bientôt mise en dépôt de bilan. Le Land de Berlin, propriétaire des lieux et lui aussi en banqueroute, vendit le terrain et l'immeuble à un investisseur immobilier de Hambourg, Spreedreieck. Un immeuble de rapport de dix étages va donc être construit sur le terrain qui jouxte le Tränenpalast.
La ligne de démarcation Est-Ouest s'estompe
Classé patrimoine historique, celui-ci devra être conservé et utilisé pour des manifestations culturelles, a cependant indiqué le nouveau propriétaire, Harm Mueller-Spreer, comme pour se dédouaner de certains reproches visant ses appétits gourmands en matière d'immobilier. Avec la fin du Tränenpalast, le centre de Berlin voit peu à peu disparaître les ultimes traces de la ligne de démarcation qui séparait l'Ouest et l'Est et les investisseurs modernes ne souffrent pas d'Ostalgie, cette nostalgie propre à tout ce qui faisait le charme de l'ex-République démocratique allemande.
Lors de la vente aux enchères, un acheteur de 38 ans a emporté pour 120 euros le lot 137. C'est un simple panneau allongé en métal blanc jauni où il est inscrit en lettres cursives noires «Wechselstelle Staatsbank der Deutschen Demokratischen Republik» (bureau de change de la banque d'Etat de la République démocratique allemande). Il se nomme André. A l'époque de la chute du Mur, Il était simple soldat dans la Nationale Volksarmee. Il ne sait pas vraiment pourquoi il l'a acheté. Il dit que cela va l'aider à réfléchir au passé en ayant ce panneau affiché chez lui. Pour Petra Scherer, une Berlinoise de l'Ouest, c'est un peu la même chose. Elle n'a rien acheté. Elle n'en avait pas envie. Mais elle est tout de même venue voir une dernière fois le poste frontière de sa jeunesse, son carrelage noirci, ses néons rouges, avant le coup de marteau final.