La paralysie programmée
états-unis
La vague républicaine a été moins forte que prévu, mais le vote d’une Amérique en colère sonne comme un coup d’arrêt à la politique de Barack Obama
Le temps de la campagne est terminé. Au lendemain des élections du midterm qui ont vu le Parti républicain regagner une bonne partie du terrain qu’il avait perdu il y a deux ans, le président Barack Obama s’est dit prêt à collaborer avec des adversaires politiques qu’il y a deux jours encore il qualifiait d’«ennemis». Acceptant l’idée que le succès de la droite est le résultat des «frustrations» des Américains face à sa politique, le président a cependant suggéré qu’il ne reniera pas ses principes.
Mardi, l’Amérique s’est retournée comme une chaussette. Un peu partout, les électeurs qui s’étaient laissé tenter il y a deux ans par la vague d’enthousiasme démocrate ont repris leurs esprits. L’Amérique rurale et blanche, cette classe moyenne qui a le plus souffert de la crise économique, s’est rangée à nouveau derrière les candidats de la droite. Un mouvement qui, selon les enquêtes d’opinion, concerne au premier chef la population âgée, ainsi que les électeurs qui se proclament indépendants, et dont les basculements d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique contribuent de plus en plus à sceller le sort des scrutins aux Etats-Unis.
Alors que les républicains avaient besoin de gagner 39 sièges pour reconquérir la majorité à la Chambre des représentants, les derniers résultats (quelques sièges sont encore indéterminés) leur donnaient un gain de plus de 60 sièges. C’est un score pratiquement sans équivalent pour le Grand Old Party. Meilleur encore qu’en 1994, lorsque «la révolution conservatrice» s’était mise en route pour tenter d’arrêter Bill Clinton au terme de ses deux premières années passées à la Maison-Blanche.
Pourtant, le triomphe des républicains n’est pas aussi complet qu’ils l’espéraient. Le Tea Party, qui a mené la marche au son du clairon, a connu un certain nombre d’accrocs. Dans le Delaware, dans le Nevada, en Virginie occidentale, les républicains ont manqué l’occasion qui leur était offerte de s’emparer des sièges de sénateurs face à des candidats démocrates peu populaires. Dans cette chambre, il leur fallait dix élus supplémentaires pour obtenir la majorité. Mais ils n’en recueillent qu’une demi-douzaine.
Adoptant le ton de celui qui a entendu le message, Barack Obama n’a pas choisi celui du vaincu. Il fallait hier le lire entre les lignes. Certes, le président démocrate se dit prêt à s’asseoir avec les chefs des républicains afin de définir avec eux «un terrain d’entente». Mais en évoquant les thèmes qui lui tiennent à cœur – les énergies renouvelables, l’éducation… – Obama semble indiquer qu’il entend bien continuer de tenir en main l’agenda politique du pays. «Les gens ne sont pas satisfaits des résultats» produits par notre politique, expliquait-il, sans toutefois remettre en question ces politiques. De même, en matière d’économie: «Les Américains ne voient pas encore les progrès accomplis.» Sous-entendu: ces progrès sont réels, les gens s’en rendront compte bientôt.
En vérité, l’éclatement du paysage politique par ces élections du midterm n’est pas le pire des scénarios possibles pour Obama. Après avoir joué la carte du blocage systématique dans l’opposition, les républicains voient aujourd’hui se reporter sur eux une partie de la responsabilité. Cependant, le fait que les deux chambres du Congrès soient de couleur différente rendra beaucoup plus aléatoires leurs initiatives. Ils auront beaucoup à faire sur la colline du Capitole avant même que le résultat des discussions puisse aboutir sur la table du président.
«Aucun parti n’a le monopole des bonnes idées», disait encore Barack Obama en insistant sur la possibilité d’adopter une approche pragmatique. «Mais il y a des principes sur lesquels on ne pourra pas transiger.»
Pour avoir infligé une lourde défaite aux démocrates, les républicains n’en courent pas moins le risque de profondes divisions. «Le résultat de cette élection ne signifie pas que les électeurs se sont réconciliés avec les républicains, mettait en garde Mario Rubio, l’une des principales figures émergentes du Tea Party, à peine élu sénateur de Floride. C’est une deuxième chance qui leur est offerte de réaliser enfin ce qu’ils avaient promis qu’ils feraient.»
Ces commentaires cinglants semblent porter en germe une possible guerre interne. Si le jeune espoir de Floride paraît ainsi se placer à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du parti, c’est pour une raison bien simple: pour bon nombre de sympathisants du Tea Party, les élus républicains «établis» font partie du problème, pratiquement au même titre que les démocrates. Le mouvement s’est formé autour de la méfiance viscérale qu’entretient une partie de l’Amérique envers Washington et ses élites. Aujourd’hui, s’ils veulent rester fidèles aux promesses faites à leurs électeurs, les nouveaux élus du Tea Party devront se distancier autant que possible d’une classe politique déconsidérée dans son ensemble.
Mais l’«establishment», lui aussi, a montré de nombreux signes d’ambiguïté face à ce mouvement populiste. Certains élus, à l’approche des élections, laissaient filtrer dans la presse l’idée que la machine républicaine ne ferait «qu’une bouchée» de ces nouveaux venus, une fois que les projecteurs auraient cessé d’être braqués sur eux. Alimentant encore les divisions, la candidate Christine O’Donnell a d’ailleurs mis sa défaite dans le Delaware sur le compte du manque de soutien que lui avait apporté le Parti républicain.
Alors qu’il n’a pas atteint à proprement parler les résultats qu’il espérait, le Tea party court plus que jamais le risque d’être phagocyté par le courant majoritaire républicain. Pourtant, à peine refermé le chapitre des élections du midterm, les yeux se tournent déjà vers l’élection présidentielle de 2012. Or, parmi les candidats qui ont tiré leur épingle du jeu ces derniers mois, figure sans conteste Sarah Palin, l’égérie du Tea Party qui n’a cessé d’agiter les ficelles dans l’ombre. Jusqu’ici, l’establishment républicain a eu besoin de la rage des sympathisants de ce mouvement pour alimenter son moteur de campagne. Il devra décider bientôt si Sarah Palin et les siens sont toujours un atout pour eux ou s’ils se sont transformés en un fardeau.