Le moment est rare. Lundi matin, Le Figaro et Libération, deux quotidiens aux opinions politiques opposées, ont développé la même analyse des événements: en décidant de solliciter le feu vert du Congrès avant une intervention militaire en Syrie, Barack Obama a «piégé» François Hollande, son seul allié européen depuis la défection de la Grande-Bretagne. Le président français a certes convoqué le parlement en session extraordinaire, mercredi, pour un débat sur la situation en Syrie. Mais comme ce fut le cas lors des dernières décisions d’interventions militaires extérieures, aucun vote n’est prévu. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault l’a confirmé lundi soir, après une réunion avec les principaux responsables de l’Assemblée et du Sénat.

Certes, la Constitution n’exige pas de vote. Mais de nombreuses personnalités souhaitent que les parlementaires puissent se prononcer, à l’instar de leurs homologues britanniques et américains. «Nous ne pourrons pas être le seul des trois grands pays à ne pas voter», a estimé l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing. Plus fondamentalement, la France doit-elle intervenir militairement en Syrie aux côtés des Américains? Contrairement à d’autres engagements, au Mali par exemple, la question divise profondément la classe politique française.

Dans une tribune, François Bayrou critique une décision d’engagement «périlleuse». «Vous créez un précédent: vous allez intervenir sans mandat des Nations unies, sans nos alliés européens, sans l’OTAN, dans une action bilatérale avec les Etats-Unis. […] Comment interdire à d’autres demain des interventions unilatérales?» interroge le centriste, qui s’inquiète aussi de «buts incertains».

Appel à la prudence

Hostile à une intervention, Valéry Giscard d’Estaing juge aussi que la France «n’en [a] pas le droit. Les interventions militaires dans un pays doivent être décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU. Et on ne sait pas qui frapper. La Syrie est dans un état de désordre profond, et il faut atteindre ceux qui ont pris la décision, il faut les trouver. C’est une situation inextricable.» Le précédent irakien est également présent dans les esprits. En 2003, la France s’était opposée à la guerre en Irak par la voix de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, qui avait prononcé aux Nations unies un discours resté célèbre.

Depuis le 27 août dernier, le président de la République s’est fortement prononcé en faveur d’une intervention. François Hollande avait jugé que «le massacre chimique de Damas ne peut rester sans réponse». «La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision effroyable de gazer des innocents», proclamait-il en ouverture d’une conférence des ambassadeurs au thème révélateur, «La France puissance d’influence». Dès ces mots prononcés, de nombreuses voix avaient appelé à la prudence, mais pour l’instant Paris ne renonce pas. Jean-Marc Ayrault a réaffirmé la détermination du pays. François Hollande «continue son travail de persuasion pour réunir dans les meilleurs délais une coalition» internationale, a-t-il précisé, nuançant aussi: «Il n’est pas question d’agir seuls.»

Car si la France est capable de s’engager en Côte d’Ivoire ou au Mali, elle «n’a ni les moyens militaires, ni la légitimité politique pour intervenir seule en Syrie», estime Alain Juppé. Partisan d’une action menée par une coalition, l’ancien premier ministre résume ainsi le «dilemme épouvantable» auquel Paris est confronté: «Nous avons la preuve que des crimes contre l’humanité ont été commis. Ne rien faire, c’est se rendre complice et ce serait un déshonneur pour les démocraties. Mais agir, c’est à très haut risque.»

Le débat n’échappe pas non plus aux querelles de politique intérieure. L’opposition profite de la brèche pour mettre en difficulté François Hollande. Jean-François Copé, qui avait d’abord trouvé «juste, sur la forme et sur le fond», la position du chef de l’Etat, a maintenant changé de discours. Dans Le Monde, le président de l’UMP «l’incite à la prudence et lui demande de ne pas être à la remorque du président américain».