Dans la chaleur éprouvante de l’été bucarestois, un homme, Victor Ponta, jeune loup pressé de la politique en Roumanie, dont il dirige le gouvernement depuis tout juste deux mois, est en passe de liquider la carrière d’un autre, le président Traian Basescu, 61 ans, ancien capitaine de marine marchande au style autoritaire, élu au sommet de l’Etat en 2004 puis reconduit en 2009.

Vendredi en fin de journée, le parlement roumain a voté la destitution du chef de l’Etat (248 voix sur 432), point d’orgue d’une procédure lancée seulement quarante-huit heures auparavant par l’hétéroclite coalition de centre gauche, l’Union sociale libérale (USL). Emmenée, entre autres, par Victor Ponta, elle est arrivée au pouvoir après avoir congédié le précédent gouvernement de centre droit par une motion de censure le 27 avril. Une cohabitation à couteaux tirés débutait avec le président issu du Parti démocrate libéral (PDL) dans un contexte propice aux tensions. «Dans le régime semi-présidentiel de la Roumanie, on ne sait pas exactement où penche la balance des pouvoirs entre président et premier ministre», explique Antoine Heemeryck, anthropologue social et politique, maître de conférence à Bucarest.

Référendum nécessaire

Hier dans la matinée, la Cour constitutionnelle avait émis un avis ambigu au sujet de cette destitution, constatant que le président «n’a pas exercé de manière efficace sa fonction de médiateur entre les pouvoirs de l’Etat» et a «tenté de réduire le rôle et les prérogatives du premier ministre». En revanche, estime la cour, il n’a pas violé la loi fondamentale, comme l’en accuse l’USL. Un avis mi-figue mi-raisin pour la forme: mercredi, tout à sa frénésie de décrets impérieux, le gouvernement de Victor Ponta a approuvé une ordonnance d’urgence qui n’octroie plus qu’un caractère consultatif aux appréciations de la cour.

Pour que Traian Basescu soit formellement démis, il faut encore que les Roumains se rendent aux urnes: un référendum doit être organisé sous trente jours, dont les règles ont été changées jeudi soir par une autre ordonnance d’urgence. D’après elle, il suffira que la proposition de destitution recueille la moitié des suffrages exprimés pour démettre le président, alors qu’une précédente loi de 2010 rendait nécessaire l’approbation d’une moitié du corps électoral. Cette décision n’est que l’ultime salve de procédés autoritaires ces derniers jours de Victor Ponta – limogeage de hauts fonctionnaires, destitution des présidents des deux Chambres issus de l’opposition, pression contre les juges de la Cour constitutionnelle – dont l’impétuosité a fini par courroucer Washington, Paris, Berlin et Bruxelles.

Plus qu’une bataille politique

Hier, la Commission européenne qui, à la somme des embarras économiques et bancaires, voit s’ajouter une crise de plus, politique cette fois, s’est dite «préoccupée par les développements en Roumanie, notamment par les actions qui semblent destinées à limiter les pouvoirs d’institutions indépendantes comme la Cour constitutionnelle». Victor Ponta est d’ailleurs attendu jeudi prochain à Bruxelles pour y rencontrer le président de la Commission, José Manuel Barroso, à qui il a promis de «donner des garanties». La Commission a également décidé de dépêcher deux fonctionnaires de son service juridique à Bucarest pour entendre les juges de la Cour constitutionnelle.

«Ce qui se passe en Roumanie est bien plus qu’une bataille politique ordinaire. Elle implique des institutions étatiques qui devraient pourtant être indépendantes», déplore Sorin Ionita, analyste pour le groupe de réflexion roumain Expert Forum. D’après lui, l’éviction de Traian Basescu n’est pas le fond de l’affaire. La condamnation récente d’Adrian Nastase, premier ministre de 2000 à 2004, à 2 ans de prison ferme pour corruption, un vice répandu au sein des élites politiques, «a été un choc terrible pour tous les politiciens de cette vaste majorité», avance l’analyste. C’est Adrian Nastase qui avait parrainé l’ascension politique de Victor Ponta. «Tous sont tellement effrayés qu’ils sont prêts à tout pour reprendre le contrôle du pouvoir judiciaire afin de préserver une sorte d’immunité informelle», estime Sorin Ionita.

Antoine Heemeryck voit pour sa part dans «cette guerre institutionnelle» un «retour de balancier»: «Jusqu’à récemment, Traian Basescu et le PDL exerçaient une domination totale. Ils avaient vassalisé toutes les institutions.» A Bruxelles, on admet à mots couverts que le président a sa part de responsabilité dans ces tensions et que son bilan ne mérite pas d’être enjolivé.

«Il n’y a pas de clivage idéologique, corrobore Antonela Capelle-Pogacean, de Sciences Po Paris, mais deux camps qui combattent pour accaparer le pouvoir.» Cela, sous le regard désabusé des Roumains, accablés par la crise économique et une politique d’austérité impitoyable.