Le Parti socialiste espagnol est au bord de l’implosion
Espagne
Le secrétaire général du PSOE Pedro Sanchez est confronté à une fronde d’une partie de la direction du parti alors que le pays vit une période d’instabilité politique. Les socialistes sont menacés de scission

«Guerre ouverte», «mutinerie», «formation dynamitée», «fracture irrémédiable»: jeudi, les médias ne mâchaient pas leurs mots pour décrire la situation que vit le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), l’une des deux grandes formations historiques ayant gouverné l’Espagne depuis la fin du franquisme, en 1975.
Alors que le pays n’a toujours pas de gouvernement – déjà trois cents jours de vacance de pouvoir –, voici que la deuxième force parlementaire (derrière les conservateurs du Parti populaire) est au bord de l’implosion. Mercredi, une courte majorité du comité exécutif a désavoué le secrétaire général, le fringuant Pedro Sanchez, un économiste de 44 ans. Mais le chef de file, qui brigue le poste de premier ministre, s’accroche farouchement à son poste et refuse le verdict de l’appareil de son parti.
Le PSOE, formation décisive pour débloquer l’actuel verrou politique, est désormais un bateau ivre. Jeudi, la schizophrénie était manifeste entre, d’un côté, Pedro Sanchez et ses partisans, de l’autre «le secteur critique», désireux de le détrôner et de convoquer dans l’urgence une «primaire» afin d’élire un nouveau leader. «Je suis le patron et je le resterai», a clamé Pedro Sanchez, élu secrétaire général en 2014. «La seule et unique autorité du parti, selon nos statuts, c’est moi», a répondu en écho Veronica Perez, la présidente du comité fédéral, qui appartient au groupe des «insurgés». Selon elle, dès lors que le secrétaire général a été mis en minorité, il ne jouit plus d’aucune autorité. Et doit donc démissionner.
Cette crise de leadership au sein du Parti socialiste, d’une gravité sans précédents au cours de ses cent quarante ans d’histoire, n’est pas un phénomène isolé. Elle est le fruit d’une lente dégringolade électorale. Au terme des législatives du 20 décembre 2015, le PSOE a perdu 1,5 million de suffrages, et obtenu seulement 90 députés, son pire résultat. Le 26 juin dernier, cette «saignée» s’est poursuivie avec une perte de 150 000 votes et de cinq députés supplémentaires.
Lente dégringolade électorale
Cette chute tient à deux principaux facteurs: «Tout d’abord, comme dans tout le reste de l’Europe, l’érosion d’un parti social-démocrate sans boussole face aux nouveaux défis de la globalisation, souligne le politologue Enrique Gil Calvo. Ensuite, l’irruption de Podemos, qui veut prendre sa place». Lancé dans l’arène début 2014, ce mouvement de gauche radicale a connu une ascension spectaculaire et constitue la troisième force à la Chambre basse du parlement, avec 71 sièges.
Depuis son arrivée à la tête du PSOE, Pedro Sanchez, issu de la jeune génération, a adopté un style tranchant, très ancré à gauche. Sa stratégie: une opposition frontale à Mariano Rajoy, 61 ans, chef du gouvernement conservateur depuis fin 2011, et incarnation d’une élite technocratique très tolérante avec la corruption. De fait, les scandales se succèdent et Mariano Rajoy lui-même est soupçonné d’avoir entretenu des «relations dangereuses» avec l’ancien trésorier du PP, Luis Barcenas, mis en examen pour possession d’au moins 6 millions d’euros sur des comptes en Suisse. «Vous êtes l’homme de l’austérité et de la corruption généralisée», a lancé Pedro Sanchez à son rival, début septembre.
Car, dans cette guerre fratricide au sein du PSOE entre le jeune chef de file et le «secteur critique», il ne s’agit pas seulement d’une lutte de personnes. «Il est vrai que Pedro Sanchez s’est conduit de manière autoritaire, analyse Ignacio Escolar de eldiario.com, mais ce qui est en jeu, c’est l’orientation du Parti socialiste.» La fracture divise deux camps: celui du «secteur critique», davantage centriste, qui réunit les barons régionaux (surtout la chef de l’exécutif andalou Susana Diaz), et celui, plus à gauche, de Pedro Sanchez et des bases du parti. Le premier est partisan de permettre à Mariano Rajoy de gouverner, le second s’y refuse et souhaite une coalition de gauche, incluant Podemos, arithmétiquement très improbable.
Pedro Sanchez a convoqué hier un «congrès extraordinaire» pour la mi-novembre, dans l’espoir qu’une majorité des quelque 195 000 militants lui accordent de nouveau leur confiance. S’il parvient à se maintenir au pouvoir, le pays court tout droit vers de nouvelles législatives en décembre – les troisièmes en seulement un an.