La France du «déconfinement» sera, à partir du 11 mai, plus encadrée que jamais. Deux mois après la décision de confiner strictement la population pour contrer la propagation de l’épidémie de Covid-19, le plan présenté mardi par le premier ministre français ressemble bien plus à un carcan qu’à une libération.

Lire aussi: Le 11 mai, date charnière pour la France contre l’épidémie

Trois exemples résument cette stratégie détaillée dans un discours d’une heure prononcé par Edouard Philippe devant l’Assemblée nationale, réduite dans l’hémicycle à 75 députés présents sur 577. Le premier porte sur la réouverture des écoles, brandie comme un symbole par Emmanuel Macron lors de son intervention télévisée du 13 avril: celle-ci sera très progressive, et ne concernera en premier lieu que les écoles primaires et les collèges (à partir du 18 mai), avec une limitation à 15 élèves par classe. Le second porte sur les déplacements, qui ne nécessiteront plus d’attestation dérogatoire sur papier ou sur téléphone portable, mais devront pour l’essentiel rester limités dans les départements, sauf «motifs impérieux». Le troisième porte sur la généralisation des tests, qui s’accompagnera d’une mise à l’isolement pendant quatorze jours des personnes porteuses du coronavirus, chez elles ou dans des hôtels réquisitionnés, avec pour supervision des «brigades» chargées de détecter les «cas contacts».

Un cahier des charges compliqué

L’appel du premier ministre français à la «vertu» et au «civisme» de la population trahissait le malaise en fin de son discours où l’importance d’une reprise économique rapide, et d’un retour des Français au travail, a presque été occultée. C’est un cahier des charges à la fois très compliqué et très contraignant que le gouvernement entend imposer au pays, appelé à se diviser en deux à partir du 7 mai, soit quelques jours avant la date fixée par le président: d’un côté, les départements «rouges» où le virus continue de circuler avec intensité; de l’autre, les départements «verts» où l’épidémie de Covid-19 est bien moins présente…

Concrètement, la France du 11 mai connaîtra quatre changements majeurs par rapport à celle d’aujourd’hui, où personne – à part les catégories professionnelles exemptées de confinement – ne peut sortir de son domicile à plus d’un kilomètre pour des exercices physiques et plus d’une fois pour des achats de première nécessité.

Pays quadrillé

Le changement principal sera l’abandon des attestations dérogatoires, personnelles ou professionnelles, imposées depuis le 17 mars et vérifiées par les forces de l’ordre qui infligent des amendes moyennes de 135 euros aux contrevenants. La plupart des Français pourront donc, selon les règles fixées par les préfets, sortir librement de chez eux à partir du 11 mai. Une phase d’étude, entre le 11 mai et le 2 juin, permettra d’affiner la carte en fonction des indicateurs épidémiologiques. Mais attention: le pays restera quadrillé, tant par la police que par les nouvelles «brigades» chargées de dépister les porteurs du virus et leurs proches susceptibles d’avoir été contaminés. S’y ajoute la mise en œuvre de la future application de traçage européenne Stop Covid sur laquelle peu d’indications pratiques ont été données. Les rassemblements de plus de dix personnes resteront interdits jusqu’à l’été. Les activités sportives pourront reprendre, mais les championnats de sports collectifs – football compris – ne le pourront pas avant septembre.

Le second changement, tant attendu, sera le retour progressif à la normale des transports en commun et la réouverture de tous les commerces non alimentaires, sauf les cafés, restaurants et hôtels qui, eux, devront attendre la fin mai pour connaître leur date de reprise des opérations. La vie commerciale pourra donc renaître, avec des règles drastiques de distanciation sociale, mais la convivialité devra attendre. Cinémas, théâtres et salles de spectacles resteront fermés. Aucune précision, en revanche, n’a été apportée par le premier ministre français sur le monde de l’entreprise et sur la nécessité de redémarrer d’urgence l’économie aujourd’hui à plat, sauf l’incitation forte à poursuivre le télétravail «partout où cela est possible» dans les trois prochaines semaines. Le dispositif de chômage partiel que le chef du gouvernement a qualifié de «plus généreux d’Europe» restera en vigueur jusqu’au 1er juin. Les marchés en plein air seront encadrés par de strictes conditions.

Lire également: La convivialité des cafés, futur sport de combat

Troisième changement, très commenté: le recours massif au port du masque de protection. Après une longue tirade pour justifier la stratégie passée – et contestée – du gouvernement en la matière, et après avoir plusieurs fois sermonné la communauté scientifique pour ses avis changeants, Edouard Philippe a confirmé que le port du masque sera obligatoire dans les transports en commun, pour les enseignants et le personnel d’aide à l’enfance, et dans les taxis et VTC. Les commerces qui le souhaitent pourront, en plus d’avoir du gel hydroalcoolique à l’entrée, demander à leurs clients de le porter. L’Etat français financera jusqu’à la moitié du coût des masques achetés par les collectivités locales.

Lire aussi: La France dans le piège des «masques pour tous»

Quatrième changement, l’apparition des tests virologiques: 700 000 par semaine pourront être réalisés à partir du 11 mai. Ce chiffre est à mettre en rapport avec l’estimation de 1000 à 3000 nouvelles contaminations par jour. C’est donc une industrie nationale du dépistage qui doit être mise en place dans les deux prochaines semaines, sans doute via la généralisation de zones de test sur des parkings. «Nous allons devoir vivre avec le virus. Nous sommes encore loin de l’immunité de groupe», a averti Edouard Philippe, dont le plan doit être mis en œuvre par le coordinateur interministériel Jean Castex, en fonction à ses côtés. L’encadrement de la France durera à l’évidence jusqu’à l’été, comme le prouvent deux mesures symboliques: l’interdiction de l’accès aux plages jusqu’au 1er juin, et l’annulation de tous les festivals et événements culturels estivaux jusqu’en septembre.