En entrant dans la salle de presse bondée du Club suisse de la presse, Julian Assange, cheveux blonds, teint blafard, paraît traqué, ailleurs. Escorté par des gardes du corps, il enlève d’un geste décidé ses lunettes de soleil. Sa voix, grave, reste bien posée malgré le crépitement des flashs. Jeudi, le patron du site WikiLeaks, qui a publié récemment près de 400 000 documents confidentiels de l’armée américaine sur la guerre en Irak et plus tôt près de 70 000 autres sur la guerre en Afghanistan, était invité par une ONG, l’Institut international pour la paix, la justice et les droits de l’homme, basée à Genève et Fribourg (lire ci-dessous). Objectif: venir témoigner des violations des droits de l’homme commises par les Etats-Unis dont le bilan en la matière est examiné ce vendredi au Conseil des droits de l’homme de l’ONU dans le cadre de l’Examen périodique universel.

«Je suis dans une situation pour le moins inhabituelle. Je témoigne comme expert des violations des droits de l’homme commises par les Etats-Unis dans divers domaines alors que je suis moi-même victime de tels abus», assène l’Australien Julian Assange, 39 ans, qui se sent désormais menacé. «J’ai fait l’objet d’une demande extraordinaire qui, poursuit le fondateur de WikiLeaks, viole la liberté de la presse: le Pentagone m’a demandé de détruire les documents que nous possédions. Et si nous ne le faisons pas, celui-ci se sentirait obligé de le faire.»

Par ses révélations diffusées par le site WikiLeaks, mais aussi par plusieurs grands journaux (New York Times, Guardian et Spiegel), Julian Assange a jeté un pavé dans la mare et mis fin à l’illusion de guerres «propres». Les documents qu’il a en sa possession recensent plus de 1200 cas de tortures commises par les forces irakiennes, dont 42 cas très sérieux, où les victimes ont été soumises à des chocs électriques, à des simulations de noyade ou d’exécution. «Les Etats-Unis sont la puissance occupante en Irak. Ils doivent prévenir la torture», déplore Julian Assange qui fustige la détention d’un soldat américain qu’on soupçonne d’avoir transmis des documents à WikiLeaks: «Il est détenu à la prison de Quantico et pourrait être condamné à 52 ans de prison.»

Julian Assange, que le New Yorker décrit comme un contrebandier de l’information prêt à s’adonner à la «sédition médiatique», estime que les Etats-Unis sont en train de dériver et qu’il est temps qu’ils arrêtent de couvrir les abus dont ils sont les auteurs. Il s’étonne que le Pentagone s’évertue à penser que les 400 000 documents ne recensent aucune violation des droits humains. Il s’étonne aussi que Washington n’ait jugé aucun de ces abus depuis le scandale de la prison d’Abou Ghraib en 2004.

Avec un Congrès désormais à majorité républicaine, il ne cache pas son inquiétude. Selon ce génie de l’informatique, le Parti républicain serait prêt à proposer une loi qui considérerait des révélations comme celles de WikiLeaks comme «une forme d’espionnage». Le patron de WikiLeaks nie s’acharner sur l’Amérique. «Mais les informations sur l’Irak et l’Afghanistan revêtent une importance historique extraordinaire», justifie-t-il.

Le New York Times le décrivait dans un récent article (traduit dans LT du 28.10.10) comme un être traqué. Hier à Genève, Julian Assange a jugé l’article en question «très imprécis». Il en a profité pour décocher quelques flèches assassines contre le quotidien new-yorkais qui a publié un article sur les documents irakiens, mais qui «a dans le même temps voulu se distancier de WikiLeaks» en brossant un portrait peu flatteur de l’Australien. Pour Julian Assange, la liberté de la presse aux Etats-Unis est loin d’être garantie. A ses yeux, de nombreuses chaînes de télévision se sont refusées à rendre compte de ses révélations.

L’Amérique de Barack Obama a-t-elle davantage les faveurs du patron de WikiLeaks? «L’administration Obama a aussi, conclut-il, violé le droit international.»