Jean-Philippe Béja: Il s’agit apparemment d’une manifestation, pacifiqueau début si on en juge par les images diffusées sur Youtube, qui a dégénéré. Cette manifestation voulait dénoncer la mort de deux ouvriers ouïghours, tués lors d’une autre grande manifestation dans le sud de la Chine après avoir été accusés de viol. Des milliers de personnes se sont donc rassemblées et les forces de l’ordre sont intervenues.
– Comment expliquer la brutalité de cette répression, et la diffusion de ces images ?
– C’est une énorme répression. Que les autorités chinoises annoncent un chiffre de 140 morts est un signe qu’ils ont voulu frapper fort, à la veille du 60e anniversaire de la création de la République populaire (le 1er octobre). Elles rejouent un peu le scénario tibétain de 2008, les images des violences de Lhassa avaient été montrées pour que l’opinion publique se range du côté du pouvoir. Ici de façon similaire on montre la brutalité des Ouïghours pour obtenir le soutien des Chinois. L’ampleur de cette répression est aussi destinée à faire peur aux Ouïghours, ce chiffre montre que les forces de l’ordre n’ont pas fait de détail, les centaines d’arrestations montrent aussi que toutes les personnalités ouïghours, tous ceux suspectés d’avoir pu jouer un rôle ont dû être arrêtés. Les Chinois ont frappé très fort.
– Pékin accuse l’étranger d’être derrière les troubles, et notamment le Congrès ouïghour dont la présidente vit en exil aux Etats-Unis
– La communauté ouïghour n’est pas organisée comme le sont les Tibétains. La seule personnalité connue est effectivement Rebiya Kadeer, réfugiée aux Etats-Unis, mais à l’étranger les Ouïghours appartiennent à de nombreuses associations, en Turquie, en Allemagne, il y a aussi quelques organisations islamiques comme l’ETIM, Mouvement islamique du Turkestan oriental. Il est intéressant de remarquer que Pékin accuse Rebiya Kadeer, sans prendre de gants donc avec les Américains, alors qu’en accusant les islamistes, on n’est généralement pas mal vu des Occidentaux… En réalité il n’y a pas besoin d’orchestrer des violences de l’extérieur, les tensions sont déjà très fortes.
– Comment sont les relations entre Hans et Ouïghours actuellement?
– Elles sont très tendues, et ce n’est pas nouveau. Dans les années 1980 il y avait eu des améliorations, ainsi Rebiya Kadeer, l’héroïne ouïghoure, la femme d’affaires qui avait réussi, a été élue au parlement; mais il y a eu un raidissement très fort depuis le milieu des années 1990, quand les Chinois ont estimé que l’intégration des Ouïghours était un échec. Rebiya Kadeer a été emprisonnée puis expulsée. Depuis 1995 les Ouïghours sont en butte à des tracasseries, ils ont du mal à manifester en public leur spécificités culturelles, leur identité, il y a un fort contrôle sur les mosquées. Ils sont aussi économiquement discriminés, les Hans ont davantage profité de l’essor économique, beaucoup de Hans viennent parfois comme simples travailleurs saisonniers, aujourd’hui il y a plus de Hans que d’Ouïghours à Urumqi (la capitale). Dans les campagnes l’appauvrissement est objectif, ainsi les champs de coton qui appartiennent aux militaires utilisent-ils l’eau des oasis au détriment des Ouïghours ruraux. Il existe un très fort ressentiment. Mais il n’y a pas de mouvement organisé, politique.