Le Sénégal est officiellement indépendant depuis le 20 août 1960, mais c’est ce week-end que le président Abdoulaye Wade, 84 ans, inaugure à Dakar «son» Monument de la renaissance africaine en présence d’une poignée de chefs d’Etat africains, mais aucun invité occidental de marque.

Un groupe d’opposants a promis de manifester contre «la cession à vil prix» de 35 hectares pour financer la construction de la gigantesque statue de bronze et «satisfaire une mégalomanie dégradante». La participation populaire à la fête sera un test: le 13 février dernier, donnant le coup d’envoi aux manifestations du cinquantenaire, Abdoulaye Wade avait pris la parole dans un stade quasi désert.

Corruption, affairisme

Pour le Sénégal, l’année 2010 marque un double anniversaire. Le premier, celui de l’indépendance, ne donne pas de quoi rougir par rapport à d’autres pays. Aucun coup d’Etat n’a marqué ce demi-siècle, le multipartisme existe, les médias sont assez libres, le pouvoir politique a connu l’alternance sans violence.

Le résultat est moins convaincant au niveau économique et social. Le Sénégal figure au 166e rang sur 182 à l’indice de développement humain du PNUD. S’il a connu un certain regain d’activité depuis dix ans, il le doit surtout au retour des bailleurs de fonds internationaux et aux transferts des migrants (près de un demi-million sur une population totale de 13 millions d’habitants), qui représentent 15% du produit intérieur brut selon la Banque mondiale.

Quant au second anniversaire, celui de l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade il y a dix ans, il est marqué par la publication de deux livres critiques aux Editions L’Harmattan. Corruption, affairisme, services publics défaillants et chômage en hausse sont le fruit des années Wade, dénoncent les auteurs, et les opposants au régime. L’an dernier, le Sénégal a dégringolé de 14 rangs sur l’indice de corruption perçue calculé par Transparency International.

Le président défend son bilan en soulignant qu’il a dépensé bien plus que ses prédécesseurs en infrastructures: l’autoroute Dakar-Diamniadio est bientôt achevée, le nouvel aéroport Blaise-Diagne en chantier. L’éducation absorbe 40% du budget public, assure-t-il, et la production agricole bénéficie de la réforme agraire de 2008. Sur le plan extérieur, il a reconnu Pékin, «su diversifier son portefeuille diplomatique et acquérir une stature internationale», dit Vincent Foucher, chercheur au Centre d’études sur l’Afrique noire à Bordeaux.

Défaite humiliante

Ce dernier s’inquiète surtout de la régression institutionnelle: «Il y a clairement recul par rapport à la dynamique vers la démocratie des années 1990», observe-t-il. Wade l’opposant, emprisonné deux fois par son prédécesseur Abdou Diouf, s’est-il lui-même transformé en potentat manipulateur depuis qu’il est au pouvoir? En tout cas, il y a pris goût, puisqu’il a annoncé son intention de se représenter pour un troisième mandat en 2012.

Vincent Foucher ne doute pas de sa détermination à mener campagne et met en garde ceux qui prédisent déjà sa défaite: ils s’étaient déjà trompés en 2007. Wade a du charisme, et les voix critiques qui parviennent en Occident ne reflètent pas forcément la perception populaire.

Néanmoins, le président et son Parti démocratique sénégalais, très fragmenté, ont été giflés aux élections régionales du printemps 2009. Après une campagne marquée par de nombreux incidents, dont des caillassages du convoi présidentiel, Abdoulaye Wade et son fils Karim, 42 ans, dont c’était le premier test face aux électeurs, ont subi une défaite humiliante dans leurs propres circonscriptions. Les répercussions de la crise financière ont joué un rôle dans le mécontentement populaire, mais les causes principales sont internes: le peuple se fatigue d’Abdoulaye Wade.

Quant à Karim, de mère française et élevé en Europe, les mauvaises langues disent qu’il parle mal le wolof. Pour d’autres, il incarne l’opportunisme affairiste du régime. C’est pourquoi son père a décidé de monter lui-même au front.

Son principal atout, pour l’instant, est une opposition divisée. Mais la situation peut évoluer. Le chanteur Youssou N’Dour, très populaire et connu pour son engagement humanitaire, a créé en 2003 un groupe de presse comprenant le quotidien le plus lu du pays. Or il a laissé entendre qu’il pourrait mettre son poids dans la balance pour la prochaine campagne – et ce ne sera sans doute pas en faveur du président sortant.