Entretien
Retour des frontières nationales, lutte contre l’islamisme radical, critique de l’Union européenne et de sa politique d’asile, montée des partis souverainistes et amour de la démocratie directe: «Le Temps» s’est entretenu le 25 novembre avec Marine Le Pen au siège du Parlement européen à Strasbourg. A moins d’une semaine du premier tour des élections régionales, la présidente du Front national est donnée vainqueur dans le Nord-Pas-de-Calais

L’entretien avec la présidente du Front national était prévu de longue date. Sauf qu’entre-temps, Paris a essuyé les attentats les plus meurtriers que la capitale ait connus depuis la Seconde Guerre mondiale. Funeste ironie du sort, ces événements concourent à faire progresser le Front national, considéré par une partie de l’électorat comme le plus apte à répondre à la menace terroriste et à apporter des solutions sécuritaires. A l’orée des élections régionales dont le premier tour se tiendra ce dimanche 6 décembre, le parti populiste caracole en tête dans le Nord-Pas-de-Calais ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans son minuscule bureau du Parlement européen à Strasbourg, Marine Le Pen accordera 25 minutes, montre en main, pour répondre à nos questions.
Le Temps: Vous exigez un retour à des contrôles systématiques des frontières nationales. Or, une majorité des terroristes était titulaire d’un passeport français. Le problème n’est-il pas français avant tout?
Marine Le Pen: Que les choses soient claires, il n’y a pas une mesure, mais toute une batterie de mesures qu’il faut mettre en œuvre immédiatement. Même si certains avaient la nationalité française, il n’en demeure pas moins qu’ils sont allés acheter des armes à l’étranger. Il faut maîtriser nos frontières pour savoir qui entre, qui sort et qui se maintient sur notre territoire. C’est une absolue urgence que de maîtriser nos frontières. Deuxièmement, il faut lutter contre le fondamentalisme islamiste qui pullule et recrute dans le terreau du communautarisme qui a pu voir le jour à cause de la lâcheté de nos gouvernants et de l’immigration massive qu’a connue notre pays depuis des années. Tout le monde prétend aujourd’hui lutter contre le terrorisme. Mais le terrorisme, c’est l’arme. Ce qu’il faut, c’est lutter contre celui qui tient l’arme. Le troisième levier d’action consiste à tourner le dos aux politiques qui ont entraîné le chaos en Libye, en Irak et en Syrie, sans quoi les terroristes continueront à agir. Enfin, il faut renvoyer la Commission européenne dans ses buts. C’est aux pays de déterminer leurs priorités, notamment budgétaires. Ce n’est pas à l’Union européenne de nous imposer de supprimer 60 000 militaires, 20 000 policiers ou je ne sais combien de douaniers. Ce sont ces éléments-là qui doivent être mis immédiatement en œuvre et qui permettront, en amont, de rendre efficace toute une série d’actions d’ailleurs annoncées par le président. En passant, je me réjouis qu’il vienne puiser dans notre programme.
Un gouvernement qui reprend certaines de vos mesures, cela vous fait-il vraiment plaisir à l’aube d’élections régionales?
Disons que je mesure mon enthousiasme. Parce que tant qu’on n’aura pas remis en cause le dogme de la libre circulation et de la soumission à l’Union européenne, ces mesures ne seront pas efficaces ou inapplicables. Un exemple? La déchéance de la nationalité. C’est efficace si vous avez des frontières. Si vous n’en avez pas, cela ne sert à rien.
Vous ne trouvez donc aucune espèce d’avantage à la libre circulation?
Non, rien. Sauf peut-être aux bobos qui trouvent fantastique d’aller passer un week-end en Italie sans devoir ni traverser des douanes ni changer de monnaie. Moi je suis le défenseur de l’immense majorité des Français qui n’ont même plus de quoi aller passer un week-end quelque part. Et s’ils en avaient la possibilité, croyez-moi que devoir changer de monnaie ou traverser une douane ne leur poserait pas le moindre problème. Les avantages de la libre circulation sont dérisoires par rapport aux inconvénients.
Schengen a tout de même permis de constituer une gigantesque base de données recensant les personnes recherchées, et permet aussi un retour temporaire des contrôles. Pourquoi vouloir y mettre fin?
Permettez-moi de vous dire qu’il existe une entité qui effectue ce travail, et elle s’appelle Interpol. Nous n’avons pas attendu l’Union européenne pour collaborer entre Etats et leur service de renseignement. Ça a toujours existé et cela fonctionnait mieux.
On ne peut pas dire d’Interpol qu’il soit parvenu à empêcher les attentats parisiens…
Evidemment, il n’y a plus de frontière ni de contrôle! Alors à moins d’avoir de la chance d’attraper un terroriste qui a franchi la ligne blanche et qui se fait arrêter par la gendarmerie… Vous croyez sérieusement que la Lettonie, la Lituanie ou la Grèce sont en mesure de protéger les frontières?
Parce que la France l’est aujourd’hui?
Non. Mais elle peut l’être en quelques mois.
Ne faut-il pas apporter une réponse autre que sécuritaire au terrorisme? La France rencontre aussi des problèmes sociaux.
Ça n’est pas un problème social! Le président de la République m’a confié après les attentats de «Charlie Hebdo» qu’il fallait couper la tête à l’idée que ce seraient la pauvreté et le chômage qui engendreraient le terrorisme. Non, c’est l’idéologie qui engendre le terrorisme. La France connaît une multitude d’endroits qui sont pauvres et l’on n’y voit pas, pour autant, des terroristes émerger. Cette justification sociale n’a aucun sens. Si on fait cette analyse-là, on se trompe.
Pointer les dérives de l’islam du doigt pouvant engendrer des amalgames, n’est-ce pas exactement ce que Daech attend? Un énorme clash des civilisations sur le sol français et une cohésion nationale qui vole en éclats?
Je crois que c’est exactement l’inverse. C’est en ne pointant pas le fondamentalisme islamiste, en ne l’attaquant pas, en ne lui coupant pas les financements, en ne le pointant pas du doigt que l’amalgame risque d’intervenir. En désignant les idéologies prêchées par le wahhabisme, par les salafistes et par les Frères musulmans, vous nommez l’ennemi. Mais plus encore, vous nommez ceux qui ne le sont pas. Qui est bon? Qui n’est pas bon? Qui est qui? Nous devons répondre à ces interrogations, c’est la responsabilité d’un gouvernement d’être extrêmement clair dans la détermination de l’ennemi contre lequel il faut lutter.
Vous appelez à un gel de l’accueil des réfugiés en France. Mais refuser d’accueillir des gens qui fuient la guerre vous pose-t-il un problème moral, Marine Le Pen?
Non. Parce qu’il n’est pas question de les livrer au malheur ni de les abandonner. Ce que je propose, c’est un autre choix et je l’ai fait dès le départ. Je n’ai pas attendu que des fondamentalistes islamistes s’infiltrent parmi les migrants – ce que j’avais déjà dénoncé au Parlement européen en septembre – pour dire que cette politique folle qui nous était imposée par la Commission européenne allait générer des conséquences extrêmement lourdes sur notre sécurité. Que fallait-il faire? Il fallait construire des campements humanitaires sous contrôle de la communauté internationale, en Jordanie, au Liban ou en Syrie.
Et en apportant votre soutien au président syrien Bachar el-Assad?
Je ne le soutiens pas en particulier. Je soutiens la stabilité de l’Etat syrien, quel que soit celui qui le dirige. La question se résume à un choix: préfère-t-on un Etat qui existe aujourd’hui ou l’Etat islamique?
Vous oubliez les rebelles syriens.
Ah non! Excusez-moi mais les rebelles syriens sont incapables de tenir l’Etat aujourd’hui. Il ne faut pas regarder les choses telles qu’on les rêve, mais telles qu’elles sont. La réalité, c’est que personne n’est capable de diriger la Syrie à part celui qui est assis dans le fauteuil. Et la politique du moindre mal, c’est la persistance d’un Etat syrien contre l’Etat islamique. Car s’il tombe, je peux vous garantir à 100% que l’EI prendra le pouvoir, entraînant avec lui tous les autres pays.
A long terme, doit-on prévoir une porte de sortie pour Bachar el-Assad?
Peut-être. Mais je précise que ce n’est pas à nous de le faire. Il y aura des élections, je suppose que la solution, quand tout cela sera terminé, serait l’instauration d’un gouvernement d’alliance nationale. Mais c’est encore trop tôt. En luttant depuis trois ans contre Bachar el-Assad, on a renforcé l’Etat islamique. C’est la réalité.
Revenons sur notre continent. En Europe, les forces anti-libérales montent en puissance. Elles sont parfois de droite (vous, l’UKIP, Geert Wilders), parfois de gauche (Mélenchon, Syriza, Podemos). Ce qui vous rassemble, l’anti-libéralisme, est-il plus fort que ce qui vous divise, c’est-à-dire un clivage gauche-droite?
Je ne crois plus au clivage gauche-droite depuis Mathusalem au moins. Je crois que le clivage actuel est à chercher entre les nationaux et les mondialistes. Il y a ceux qui considèrent la nation – avec tout ce que cela comporte en matière de souveraineté budgétaire, économique, monétaire, territoriale et législative – comme étant la structure la plus performante pour assurer la sécurité, la prospérité et défendre l’identité des peuples. Et puis il y a ceux qui considèrent que le mondialisme, anti ou pro-libéral, est la seule voie d’avenir. Nous, nous sommes cohérents, contrairement à l’extrême gauche qui défend un projet complètement incohérent.
Pourquoi?
Parce que l’on ne peut pas être contre l’ultra-libéralisme et pour l’immigration.
Ah?
Oui et pour une raison simple. L’immigration est l’arme de prédilection des ultra-libéraux. L’extrême gauche n’a jamais réussi à répondre à ce dilemme.
Vous saluez souvent le modèle suisse, le bon sens populaire de ses habitants. Or la Suisse est, de facto, européenne n’ayant plus de frontières avec l’UE, elle est aussi fédéraliste alors que vous détestez l’idée de décentralisation, et elle est libérale en matière économique. La Suisse, c’est donc tout ce que vous abhorrez?
Moi, je ne déteste personne. Ce que j’aime, c’est la souveraineté, c’est la possibilité qui est offerte au peuple de s’exprimer. Je pense que c’est son choix. Je défends le droit pour la Grande-Bretagne d’être ultra-libérale si elle le veut. De la même manière, je défends le droit de la Suisse de décider si elle veut être fédérale. Quant à moi, je défends le modèle français, c’est aussi simple que cela. Je ne suis pas là pour imposer mes idées ou mon idéologie politique de force aux autres. Ce que je reproche à l’UE, c’est qu’elle impose ses règles à chacun des pays…
C’est un peu le concept…
Mais justement c’est un concept que je rejette du plus profond de mon être! Je pense que le seul souverain légitime dans une démocratie, c’est le peuple.
Et le peuple a toujours raison?
– Le peuple a toujours raison même quand il a tort. Car s’il n’a pas raison, qui a raison pour lui? L’oligarchie? Eh bien non merci.
Un parti partage avec vous votre amour du peuple: l’UDC. Quelles sont vos relations avec lui?
Je n’en ai pas.
Ce parti, première force politique de Suisse, a récemment encore élargi son électorat en se montrant moins agressif dans ses campagnes, parfois même en faisant preuve d’humour. Le FN pourrait-il emprunter cette voie?
Agressif? Je peux vous dire que si le Front national collait les mêmes affiches que l’UDC en France, nous finirions tous en prison. (Rires)
Vous me direz que c’est un processus que vous avez démarré depuis longtemps.
C’est-à-dire?
Celui de vous rendre sympathique.
Nous n’avons pas à nous montrer sympathiques, nous devons nous montrer tels que nous sommes. J’accepte que l’on nous déteste, mais pas pour la caricature que l’on veut bien faire de nous.
A-t-elle disparue?
Dans le peuple, elle a quasiment disparu. Mais il n’en demeure pas moins que régulièrement la classe politique, par faiblesse d’âme, par paresse intellectuelle essaie de la réactiver. Regardez ce qu’a fait Valls pendant des semaines, «le danger du FN, ce serait épouvantable si le FN emportait des régions, il fallait se faire hara-kiri plutôt que de laisser une région au Front national, etc.» Evidemment, les attentats l’ont ramené à la réalité et ont ramené les Français à la réalité.
Tout le monde vous voit au deuxième tour en 2017. Votre père semblait plus à l’aise dans la contestation que dans la gouvernance. Le FN, vous, êtes prêts à gouverner?
Pour être tout à fait honnête, Jean-Marie Le Pen était dans la contestation parce qu’il n’a jamais été en situation de gouverner. Il était à 15%, nous sommes aujourd’hui plus haut. Aux élections régionales, nous allons démontrer qu’il n’y aura pas de pluie de grenouilles ni d’invasion de sauterelles quand nous arriverons à la tête des régions. Je n’ai pas peur de gouverner. Il faut d’ailleurs se réjouir d’accéder au pouvoir et d’être jugé sur ce que nous en faisons. Je suis impatiente de montrer ce que l’on est capable de faire.
Et devoir adoucir votre discours pour représenter tous les Français?
Je n’ai pas à adoucir mon discours parce que je ne pense pas qu’il soit excessif. C’est la caricature qu’on en fait qui est excessive. Encore une fois, face au danger, qu’est-ce qu’on fait? Eh bien on applique les mesures du Front national. Comme par exemple le patriotisme économique, qui est pourtant interdit par l’UE. Nous, nous avons trouvé des subterfuges pour appliquer cette politique. Et que constate-t-on? L’UMP et même le PS réclament aujourd’hui leur application. Notre gigantesque force, c’est la cohérence.