Etats-Unis
Le gouverneur du Missouri, Jay Nixon, a décrété samedi l’état d’urgence, ce qui n’a pas empêché un redoublement des violences

Les pilleurs débordent les manifestants pacifiques à Saint-Louis
Etats-Unis Le gouverneur du Missouri, Jay Nixon, a décrété samedi l’état d’urgence, ce qui n’a pas empêché un redoublement des violences
Un homme torse nu, le visage recouvert par un bandana noir, sort en courant du Ferguson Market & Liquor, les bras chargés de bouteilles. Un autre en pull à capuche gris déambule tranquillement, portant plusieurs caisses de marchandises volées. En arrière-plan, des jeunes effectuent des figures avec leurs voitures en faisant crisser leurs pneus. A quelques pas de là, des membres de la communauté et des militants du Nouveau Parti des Panthères noires ont créé un cordon humain pour empêcher les pilleurs de rentrer dans un salon de beauté. «Tout le monde pense que nous ne sommes que des Nègres ignorants, mais ce n’est pas vrai. Nous protégeons les nôtres», glisse l’un d’entre eux.
Dirigeants désabusés
Ces images de chaos, relayées par les chaînes de télévision américaines, se sont déroulées dans la nuit de vendredi à samedi à Ferguson, la banlieue de Saint-Louis qui s’est enflammée il y a une semaine suite à la mort de Michael Brown, un adolescent noir abattu par un policier. Elles ont convaincu le gouverneur du Missouri, Jay Nixon, de décréter samedi l’état d’urgence et un couvre-feu nocturne. Mais la nuit suivante a été plus violente encore. Un petit groupe de manifestants a refusé de se disperser après minuit et l’un d’entre eux s’est fait tirer dessus par un inconnu – il était, dimanche, dans un état critique. La police est finalement intervenue avec du gaz lacrymogène pour disperser la foule et a arrêté sept personnes.
Pourquoi ce regain de violence, alors que la situation semblait s’être calmée jeudi, grâce à la présence apaisante du capitaine Ron Johnson, un Afro-Américain qui a grandi à Ferguson? «Il y a une déconnexion entre la direction du mouvement, composée de personnes plus âgées, et les jeunes du quartier, estime Stefan Bradley, directeur des études afro-américaines à l’Université de Saint-Louis. Ces derniers voient la violence comme une façon de se faire entendre. Alors que les seniors et les leaders communautaires occupent le devant de la scène, ces adolescents ont parfois l’impression que leur voix se perd au milieu du bruit.»
Il y a également eu des fauteurs de troubles externes. «Ces deux dernières nuits, on a vu apparaître des jeunes venus des autres banlieues ou du centre-ville de Saint-Louis, relate Garrett Duncan, un spécialiste de la jeunesse noire à l’Université Washington, à Saint-Louis, qui a assisté à ces troubles. Leur présence n’avait rien à voir avec une prise de position politique, ils étaient là pour voler.»
En face, des résidents locaux, des dirigeants religieux comme le révérend Jesse Jackson, des politiciens de gauche et des militants d’organisations comme le Nouveau Parti des Panthères noires ou Nation of Islam, qui avaient pris la tête des manifestations largement pacifiques de ces derniers jours, ont tenté de s’opposer aux pillages, parfois physiquement.
«Nous avons travaillé ces jeunes au corps toute la journée, avons essayé de leur expliquer que le couvre-feu était dans leur intérêt, mais il n’y avait pas moyen de les convaincre», a décrété Antonio French, un élu local, samedi dans la nuit. «Je suis déçu par ce qui s’est passé hier soir», a pour sa part dit le capitaine Ron Johnson, dimanche à l’aube. Vendredi, il avait exhorté les manifestants à «ne pas brûler leurs propres maisons».
Mais la police locale, outrée d’avoir été mise de côté par le gouverneur Nixon au profit de l’équipe du capitaine Ron Johnson, a également jeté de l’huile sur le feu. Vendredi, malgré l’opposition du Département de la justice, elle a diffusé le nom du policier qui avait abattu l’adolescent en même temps qu’une vidéo de surveillance montrant ce dernier en train de dérober une boîte de cigarillos. Elle a aussi laissé flotter l’incertitude durant plusieurs heures quant aux raisons qui ont poussé l’agent à intercepter le jeune homme, avant de préciser que cela n’avait rien à voir avec le vol.
Incompréhension
«Ce geste avait clairement pour but de donner l’impression que Michael Brown méritait ce qui lui est arrivé, juge Garrett Duncan. La population de Ferguson y a vu une tentative pour ternir sa réputation et cela l’a rendue folle de rage.»