Publicité

«Le pire est le sort des détenus fantômes»

Kenneth Roth, directeur général de l'ONG américaine Human Rights Watch.

De passage à Genève où il a participé mardi à une soirée en l'honneur des trois lauréats annuels de son ONG, Kenneth Roth, directeur général de Human Rights Watch, revient sur les grandes questions du moment.

Le Temps: Quel premier bilan tirez-vous du procès de Saddam Hussein?

Kenneth Roth: Il est extrêmement important que Saddam Hussein soit enfin jugé. C'est un homme qui a commis un génocide contre les Kurdes et des crimes contre l'humanité envers de nombreux Irakiens. Ma crainte est de voir l'attention davantage braquée sur le manque d'équité de la procédure que sur l'inhumanité des crimes de Saddam Hussein. Cela dit, nous avons de nombreux doutes sur le fonctionnement du Tribunal spécial irakien (TSI) qui, par exemple, n'exige pas de «preuves irréfutables». Mais le plus dangereux tient au manque d'indépendance des juges et aux pressions énormes auxquelles ils sont soumis de la part des autorités politiques qui veulent en finir au plus vite et faire exécuter Saddam Hussein le plus rapidement possible. Nous craignons aussi pour la sécurité des participants (magistrats, avocats, témoins) à ce procès. Pour toutes ces raisons, un procès international aurait été bien meilleur. Mais comme vous le savez, quand le TSI a été créé, l'administration Bush était déterminée à ne rien faire qui aurait pu favoriser la justice internationale, et indirectement la Cour pénale internationale à laquelle elle est opposée.

  • Quatre ans après le 11 septembre, quels reproches faites-vous à la lutte antiterroriste conduite par les Etats-Unis?

  • Il y a deux problèmes majeurs: l'usage de la torture, d'une part, le recours à l'emprisonnement sans jugement d'autre part. Ces deux problèmes ont été mis en évidence à Guantanamo. Mais Guantanamo n'est pas ce qu'il y a de pire. Le pire, c'est le sort réservé à ce que nous appelons les «détenus fantômes», ces prisonniers dont on ne sait pas où ni comment ils sont détenus. Nous connaissons les noms de 23 d'entre eux, mais personne ne sait combien ils sont. Sur le fond, le grand problème tient au fait que les Etats-Unis sont le seul pays au monde qui revendique le droit de recourir à des traitements cruels inhumains et dégradants. Cela remet en cause toutes les normes internationales contre la torture et mine la crédibilité des Etats-Unis à défendre les droits de l'homme.

  • Pourquoi avez-vous critiqué l'invitation faite par Washington à des experts de l'ONU de visiter Guantanamo?

  • Simplement parce qu'il s'agit d'une farce, car les experts ne pourront parler à aucun détenu en tête à tête.

  • Que démontre le drame des immigrés clandestins africains de Ceuta et Melilla?

  • La manière dont les Européens traitent la question remet gravement en cause le droit à l'asile, même si chaque migrant n'est évidemment pas un réfugié. Le drame, c'est que de nombreux pays européens essaient de se débarrasser de la question sur des pays périphériques comme la Libye, le Maroc, l'Ukraine. En gros, cela revient à dire que l'Europe ferme ses portes.

  • Quelques mots sur la Russie, le Congo-Kinshasa et l'Afghanistan, pays d'origine de vos trois lauréats de cette année, Natalia Zhukova, Honoré Musoko et Habib Rhiab...

  • Pour ce qui est de la Russie, elle va dans une très mauvaise direction. Le régime de Poutine est une dictature avec une façade démocratique. Quant au Congo, la communauté internationale devrait faire beaucoup plus, même si la présence des forces de maintien de la paix est très importante. Enfin, en Afghanistan, la bonne nouvelle est que les élections ont pu avoir lieu, la mauvaise est que le scrutin a renforcé le pouvoir des seigneurs de la guerre.

  • Quelle analyse faites-vous du débat très intense sur la réforme de la Commission des droits de l'homme?

  • Nous avons été très déçus quand le sommet des Nations unies de septembre n'a pas réussi à prendre une décision claire sur la question. Toutefois, je pense que les négociations devraient aboutir avant la fin de l'année. Ce serait terrible de voir cette instance totalement discréditée qu'est la Commission des droits de l'homme tenir sa prochaine session en mars prochain comme si de rien n'était. Non, je pense que l'on va y arriver, et que la réunion de mars sera une réunion de transition entre l'ancienne commission et le nouveau Conseil dans lequel les pays qui ne respectent pas les droits de l'homme n'auront plus leur place.