Le PKK fait un pas historique vers la paix
turquie
Le retrait des rebelles armés du Parti des travailleurs du Kurdistan commencera le 8 mai prochain. La période qui commence sera cruciale pour la suite du proccessus de paix

La police turque a mis derrière les barreaux une grand-mère de 77 ans. Le crime de Nazife Babayigit: avoir envoyé à son fils, membre du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le chandail qu’elle avait soigneusement tricoté. Elle ne l’avait plus vu depuis vingt ans et craignait qu’il puisse avoir froid. Le conflit armé entre le gouvernement turc et le PKK dure depuis 1984. L’incompréhension et la méfiance ont creusé un fossé abyssal entre les deux camps. Mais le processus de paix entamé en décembre dernier a suscité l’espoir d’une possible réconciliation. Et jeudi, une étape décisive a été franchie: le chef de l’aile militaire du PKK, Murat Karayilan, a annoncé que les rebelles armés amorceront leur retrait du territoire turc le 8 mai prochain.
A Van, dans le sud-est de la Turquie près de l’Iran, Nazmi Gür, député au parlement du Parti pour la paix et la démocratie (BDP, considéré comme la vitrine légale du PKK), attendait la nouvelle devant un poste de télévision: «C’est historique, je suis avec le maire de Van, Bekir Kaya, libéré depuis deux semaines après huit mois de détention. Nous sommes incroyablement heureux. La lutte pour la reconnaissance des droits du peuple kurde continue, mais pacifiquement.»
Les pourparlers avec Abdullah Öcalan, fondateur et leader historique du PKK, ont commencé en décembre 2012. Plusieurs délégations d’émissaires d’Ankara et de politiciens kurdes se sont rendues sur l’île d’Imrali (en mer Noire), où Abdullah Öcalan purge une peine à vie dans une prison dont il est le seul détenu. Les négociations avancent rapidement et, le 21 mars, une lettre en provenance d’Imrali est lue devant une foule de 2 millions de Kurdes enthousiastes réunis à Diyarbakir: des applaudissements à tout rompre saluent l’appel à un cessez-le-feu. Pour Nazmi Gür, «le PKK a fait les premiers pas, un parcours sans faute qui montre son engagement en faveur de la paix. La balle est désormais dans le camp du gouvernement, qui doit à son tour faire des concessions.»
La période qui s’ouvre s’annonce cruciale, car si, pendant la phase de retrait, les rebelles armés se sentent menacés, ou sont attaqués, tout s’arrêtera immédiatement, a prévenu Murat Karayilan: «Nous riposterons si l’armée ou les forces de sécurité profitent de ce retrait pour nous attaquer.» Par le passé, d’autres tentatives de négociations avec le PKK ont fait long feu. Plusieurs cessez-le-feu ont même été mis en place sans qu’aucun n’aboutisse à un accord de paix. Des années perdues.
Malgré les négociations en cours, la police poursuit sa répression contre tous ceux qu’elle soupçonne de sympathie avec la rébellion. Nazife Babayigit a été trahie par une photo qu’elle avait jointe au pull-over pour que son fils ne l’oublie pas. Condamnée d’abord à 6 ans de prison pour ses liens avec une organisation terroriste, le PKK, elle a vu sa peine commuée à 2 ans de résidence surveillée. Pour s’assurer que la vieille dame ne prenne pas la poudre d’escampette, les autorités l’ont contrainte à porter un bracelet électronique.
L’attitude de la police et des militaires inquiète le député Nazmi Gür: «Ils mènent encore des opérations militaires. Ils tendent une main, pour nous inviter au dialogue, mais avec l’autre, ils nous tirent dessus. Pourquoi? Seules des mesures concrètes pourront rétablir la confiance. Ankara doit faire un geste et reconnaître enfin les droits des Kurdes, à commencer par la liberté de pouvoir suivre une scolarité en langue kurde.»
Dans l’autre camp, la méfiance règne aussi. Pour Sedat Laçiner, professeur de sciences politiques et recteur de l’Université de Çanakkale, «les familles des 45 000 personnes qui sont mortes à cause de ce conflit ont du mal à accepter les négociations avec le camp opposé. Le gouvernement et une grande partie du pays doutent de la sincérité du PKK. Mais malgré ces craintes, près de 80% des Turcs plébiscitent le processus de paix. La période qui commence sera cruciale, car certains groupes ultranationalistes pourraient tenter des provocations. Et du côté kurde, beaucoup de rebelles ne se satisfont pas du retrait décidé par l’état-major. Il y a un risque qu’ils choisissent de ne pas jouer le jeu jusqu’au bout. Enfin, certains de nos voisins, l’Iran et la Syrie, par exemple, ont par le passé instrumentalisé le PKK. Ils voient d’un mauvais œil le dialogue de paix et pourraient le saboter.»
Selon la déclaration de Murat Karayilan, le retrait se fera aussi rapidement que possible, mais sa durée n’a pas été précisée, ni d’ailleurs le nombre de rebelles qui quitteront la Turquie pour se rendre dans le nord de l’Irak. Selon des estimations, il y aurait environ 2000 rebelles armés en Turquie et près de 3000 dans les montagnes en Irak, où se trouvent les bases arrière de l’organisation.
«Ils tendent une main pour nous inviter au dialogue, mais avec l’autre, ils nous tirent dessus»