Du jamais-vu… Pendant près de vingt jours, des dizaines de milliers de camions ont bloqué une voie rapide au nord de Pékin, formant un embouteillage monstre de plus de 120 kilomètres de long. Remplis pour l’immense majorité de charbon en provenance de Mongo­lie- ­Intérieure, ces poids lourds se sont retrouvés coincés, pare-chocs contre pare-chocs, obligeant leurs chauffeurs à camper sur place. Les médias chinois l’ont surnommé le «plus grand embouteillage du monde», recueillant les témoignages de routiers épuisés ou agacés par l’attente pouvant s’éterniser jusqu’à trois jours.

L’un d’eux, Zhang Peng, expliquait dimanche, alors que la situation commençait progressivement à se débloquer, être hélas habitué à ce type de bouchons spectaculaires. «Tous les chauffeurs [transportant du charbon] empruntent cette même voie rapide. Par les routes secondaires, il faut conduire 200 km de plus avant d’atteindre Pékin», où il décharge habituellement sa cargaison. «C’est trop long…» De fait, aucun autre axe à deux voies ne relie le plus important bassin houiller du pays aux régions côtières, extrêmement boulimiques en charbon. Les autres structures de transport restent par ailleurs inadaptées à l’acheminement du précieux combustible qui continue à nourrir une grande partie du pays.

Multiplication des bouchons

Les bouchons les plus spectaculaires se situent à la frontière de la région autonome de Mongolie-Intérieure et de la province du Hebei (qui enveloppe Pékin). Depuis juin, le nombre de camions excède les 20 000 par jour pour un réseau qui en prévoyait 10 000 au maximum. La Mongolie-Intérieure est depuis l’an dernier le principal producteur de charbon du pays devant la province du Shanxi où plusieurs mines ont été fermées ces dernières années pour raisons de sécurité. Le charbon représente près de 70% de la consommation énergétique primaire du pays. Avec 2 milliards de tonnes avalées par an, la Chine en consomme plus que les Etats-Unis, l’Europe et le Japon réunis.

«Seul un peu plus d’un tiers de la production transite par voie ferroviaire», rappelle Shomik Mehndiratta, expert dans les réseaux routiers chinois aux bureaux de la Banque mondiale à Pékin. Sur certains tronçons, la saturation est donc inévitable. Ces embouteillages sont d’ailleurs, assure-t-il, «appelés à se multiplier», alors même que la Chine s’est dotée ces dernières années, avec plus de 65 000 km de voies bitumées, du deuxième plus grand réseau autoroutier au monde, derrière les Etats-Unis.

150 millions de véhicules

Rien qu’en 2009, plus de 120 milliards de francs ont été investis dans les infrastructures routières. «Mais ce réseau reste inégalement réparti, relativise Shomik Mehndiratta. Dans de nombreuses régions, les besoins réels ne sont pas pris en compte.» Un constat que partage dans les colonnes du China Daily, Li Heren, autre spécialiste des transports: «Le planning de construction du réseau routier [chinois] ne suit pas la demande», surtout dans un pays devenu cette année le premier marché automobile (tous modèles confondus) au monde. Le nombre de voitures privées est passé de 1 million en 1994 à plus de 50 millions cette année (13 millions de voitures vendues pour la seule année 2009).

La poursuite de cette tendance pourrait signifier, d’après des projections officielles, que 200 millions de véhicules rouleront en Chine d’ici dix ans. De quoi engorger l’ensemble des périphéries des grandes villes et les principaux axes routiers. A Pékin et à Shanghai, il est devenu presque impossible aux heures de pointe de rejoindre les périphériques du centre sans devoir patienter des heures en voiture. Certaines directives, comme la circulation alternée, ponctuellement mises en place, n’y changent rien. «C’est pire le week-end», se lamente Chen Lan, avocate pékinoise qui s’est retrouvée «prise au piège» fin août dans un embouteillage de près de 20 kilomètres. «Je revenais de Tianjin [au sud de Pékin]. J’ai mis plus de dix heures à sortir de ce bouchon infernal!»