Il entend gagner les élections en novembre
Le siège national de la formation politique qui fait trembler l’establishment ne dépasse pas les 40 m². Dans le quartier cosmopolite et populaire de Lavapies, au sud de Madrid, le rez-de-chaussée d’un immeuble passe-partout sert de quartier général à Podemos. Le parti ancré à gauche, né des Indignés, qui a ébranlé l’échiquier espagnol en obtenant 1,2 million de voix aux européennes de mai et cinq sièges sur 54 au Parlement de Strasbourg, est devenu le quatrième parti espagnol. Son slogan: «Vous ne nous représentez pas», un message-avertissement aux partis traditionnels qu’ils jugent corrompus, inféodés aux banques. Ouvert seulement aux heures de bureaux, fermé le week-end, il contient des planches de bois empilées et un unique bureau, pas un seul ordinateur, ni de téléphone.
«On fait avec les moyens du bord, témoigne le bénévole qui assure la permanence de l’après-midi, un philologue de 36 ans qui a pris une année sabbatique pour écrire un livre sur les mouvements sociaux espagnols. Lorsqu’il y a une réunion, chacun apporte son ordinateur portable. Vous savez, si c’était un parti normal, je ne serais pas là. Nous sommes encore un nouveau-né, mais gorgé d’enthousiasme et d’envie de changer la donne.»
Sur des étagères coincées entre des rangées de cartons ont été mis en vente des sacs, des drapeaux mauves (la couleur de Podemos), des t-shirts, des colliers, des cartes postales… Un merchandising naissant qui permet de tirer un maigre pécule pour une logistique de survie. Contacté par téléphone, le numéro deux du parti, Iñigo Errejón, 31 ans tout juste, idéologue du mouvement et chef de campagne des européennes, semble s’en excuser : «Ce n’est pas un véritable siège. C’est un lieu provisoire. D’ici peu, cela va changer.»
C’est en tout cas dans cet entrelacs de ruelles de Lavapies – depuis toujours un quartier à la pointe des luttes sociales – que tout a commencé. C’est ici que Miguel Urban et Pablo Iglesias – le leader charismatique – ont ourdi ce qui allait devenir une révolution politique dans une Espagne où, depuis la fin du franquisme, le bipartisme – socialistes et Parti populaire – impose son hégémonie. «A l’origine, ce furent d’interminables discussions entre Pablo et moi, se souvient Miguel Urban. Nous venions de l’Indignation, de l’activisme politique. Il fallait canaliser la formidable frustration de tant d’Espagnols. Alors, on a créé un parti.» Podemos, «Nous pouvons».
Lancé en janvier 2014, Podemos est une dizaine de fois plus présente que le Parti socialiste (PSOE) et le Parti populaire (PP) sur les réseaux sociaux, de Twitter (428 000 abonnés) à Facebook (920 000 fans). En moins d’un an, il a su rassembler 220 000 sympathisants, de quoi faire pâlir les autres partis, en plein reflux.
Surtout, le 15 novembre, ce qui n’était qu’un «mouvement participatif» a officialisé ses structures, une direction de 10 membres et un conseil exécutif qui en compte 62. Désormais, Podemos en impose. Plus encore: cette formation qui axe tout son discours contre «la caste» – pour désigner les pouvoirs en place – fait peur. Sa critique d’«une démocratie malade, dirigée par des politiciens véreux et des financiers tout-puissants», fait mouche auprès d’une classe moyenne paupérisée et précarisée.
Selon de récents sondages, il obtiendrait environ 23% en cas de législatives, soit autant, voire plus, que les conservateurs aux manettes ou l’opposition socialiste. «Podemos a su devenir une franchise capable d’agglutiner toutes les composantes du mécontentement, et s’alimente de toutes les faiblesses et erreurs du système, analyse le politologue Fernando Vallespin. Leur grande force réside dans une consigne d’action contre le fatalisme, même si les contours de cette action demeurent encore vagues.» Le mouvement dispose d’environ 1000 cercles, des cellules de base réparties dans toute l’Espagne. Certaines sont territoriales (quartiers, villes), les autres thématiques (finances, écologie, dette, santé, éducation…).
La popularité de leur leader, qui a 742 000 abonnés sur Twitter, 90 000 de plus que le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, est leur autre grand atout. Issu des Jeunesses communistes, petit-fils d’un républicain condamné à mort par les franquistes, Pablo Iglesias s’est érigé en star cathodique qui donne brillamment la réplique à ses rivaux sur les plateaux de télévision. Queue-de-cheval, bouc soigné, ce professeur de sciences politiques éloquent s’est imposé comme la personnalité politique préférée des Espagnols. Autour de lui figurent quatre autres dirigeants, le noyau dur de Podemos, tous des professeurs de l’université madrilène de la Complutense.
Les jeunes Indignés de ce parti mauve (couleur de la république) étaient auparavant objets de condescendance ou de risées, ils représentent désormais une réelle menace pour le pouvoir en place, selon le chroniqueur Miguel Angel Aguilar. «La nouveauté, souligne-t-il, c’est que leur arrivée au pouvoir est une possibilité sérieuse. Aucun autre parti ne déclenche une sympathie et un engouement aussi massifs.»
Pablo Iglesias ne cesse de le répéter: Podemos ne s’est pas constitué pour jouer les seconds couteaux. Son objectif déclaré est de gagner les législatives générales de novembre. «Si nous nous cantonnons à un rôle de figurants, cela ne servira à rien, affirme le leader. Nous sommes ici pour gagner, pour renverser un pouvoir en place et construire un système plus juste.» L’ambition anime ce parti qui n’a pas encore soufflé sa première bougie et dont plus de la moitié du conseil exécutif a moins de 35 ans. «L’ennui, c’est que pour devenir un parti de pouvoir, il lui faut dépasser la barre des 30% des suffrages. Et ça, ce n’est pas gagné», augure l’observateur Javier Ayuso. D’où le fait que, depuis l’élection de ses instances dirigeantes, le 15 novembre devant 7000 personnes, le parti indigné cherche à ratisser large… en édulcorant quelque peu son programme.
En attendant, les militants de Podemos profitent de la popularité que procure la virginité politique. Un sondage de l’institut Metroscopia montre que la corruption est – derrière le chômage (25% des actifs) – la deuxième préoccupation des Espagnols. «A chaque nouveau scandale dans les médias touchant socialistes ou conservateurs, estime le politologue Ignacio Sanchez-Cuenca, Podemos grimpe dans les sondages. Beaucoup d’insatisfaits ne souhaitent peut-être pas qu’ils prennent le pouvoir, mais ils ont en tout cas bien l’intention de ficher une peur panique aux deux grands partis traditionnels!»
Pablo Iglesias ne cesse de le répéter: Podemos ne s’est pas constitué pour jouer les seconds couteaux