Sites internet en noir-blanc et éditions spéciales pour une tragédie nationale: pourquoi mourir ici, septante ans plus tard et pour Katyn? La malédiction semble avoir atteint son apogée en Pologne avec la presque-centaine de morts de l’élite du pays dans le crash aérien de Smolensk.

«Alors qu’ils ne paraissent généralement pas le dimanche, plusieurs quotidiens polonais ont publié, [avant-hier], une édition spéciale consacrée au crash de l’avion présidentiel survenu la veille, alors que le président Kaczynski se rendait sur le site du massacre de Katyn», relève le site spécialisé Arrêt sur images. Le quotidien Rzeczpospolita, par exemple, a proposé «une édition spéciale de 16 pages, avec la liste des victimes, et une page évoquant les circonstances de l’accident», avec des infographies sur ce qu’il appelle la «tragedia». Le site internet du journal, pour l’occasion, est publié en noir-blanc, tout comme celui de l’hebdomadaire Polityka.

«Qu’ils reposent en paix.» «Septante ans après le crime de Katyn, la fleur de la nation décimée près de Smolensk», titre pour sa part la Gazeta Wyborcza qui, elle aussi, comme d’autres sites de la presse polonaise en ligne tels que NaszeMiasto, publie une page d’accueil dont les couleurs se sont évanouies dans le deuil. Sur le site du plus grand quotidien polonais (près de 400 000 exemplaires), on découvre «le visage de 45 des officiels, victimes du crash samedi 10 avril à 9 h 41 du Tupolev 154 qui les transportait, en commençant, en haut à gauche, par Lech Kaczynski, le président et son épouse Maria».

On s’en convaincra en consultant l’intéressant blog Wirtualna Francja : «La population polonaise vit très mal cet événement, indique Le Post, car il coïncide avec la commémoration de Katyn qui reste une page très sombre de l’histoire polonaise, la plus sombre de l’Histoire» comme le font remarquer, entre autres, la chaîne ITV et le site Wirtualna Polska, qui soulignent évidemment «la macabre ressemblance entre cet épisode de l’Histoire et la perte d’une bonne partie des dirigeants polonais».

Ironie du sort, pour la Gazeta, «quelque chose de capital s’est pourtant produit» juste avant la terrible nouvelle, que relaie Courrier international: «La rencontre des Premiers ministres polonais et russe a mis un terme au «mensonge de Katyn» qui a empoisonné les relations russo-polonaises pendant des années», écrivait la semaine dernière en Une le fondateur du journal, l’historien Adam Michnik.

«Au moment où enfin Pologne et Russie allaient peut-être tourner une page sur une mémoire à vif et sanglante de leur passé, le sang coule encore, le pardon n’a pas lieu, écrit le blog «Les hommes libres» de la Tribune de Genève. Etrange accident. Douleur collective des dizaines de milliers de Polonais descendus hier dans la rue. Et aujourd’hui, ces disparitions, ce pardon difficile, ce mensonge dont on voulait se libérer, résonne comme dans nos propres vies et nos pardons difficiles, les mensonges dont on ne sait quand ils seront reconnus, nos réhabilitations en attente, nos réconciliations lointaines. Qui n’a pas de drame, de blessure, de trahison dans sa vie? Qui n’a pas un Katyn à réparer? Aujourd’hui, paraphrasant le président Kennedy lors d’un voyage à Berlin au temps de la guerre froide, j’ai envie de dire: nous sommes tous des Polonais.» Et sur Facebook comme sur d’autres réseaux sociaux, on se rassemble dans des groupes nouvellement créés, relève le site Global Voices.

«Katyn, Katyn, mourir ici, 70 ans plus tard et pour Katyn!» renchérit Radio France internationale dans une revue de la presse hexagonale. Mais ce sont surtout les journaux allemands qui, dimanche, affichaient leur solidarité avec Varsovie. «Pologne, nous pleurons avec toi», clamait en Une le quotidien populaire Bild, qui a consacré huit pages à l’accident. Tandis que la Welt am Sonntag relevait elle aussi le «coup cynique de l’Histoire», soulignant que «les étapes importantes de l’histoire polonaise récente sont presque toutes marquées par le sang». Et que le journal berlinois Der Tagesspiegel retraçait le parcours de Lech Kaczynski, «tant les hommages qui lui ont été rendus à la nouvelle de son décès tranchent avec la méfiance quasi-générale qu’avait suscitée son arrivée au pouvoir», écrit l’Agence France-Presse: «Ce petit homme, qui a agacé plus souvent qu’à son tour Angela Merkel et beaucoup d’autres pays européens avec son mélange de manières provinciales, d’imprévisibilité et de malice paysanne, a néanmoins réalisé de grandes choses pour la Pologne.»