La Pologne et l’Union européenne se sont livrées à un bras de fer par tribunaux interposés, ce mercredi, sur la question de l’Etat de droit, qui empoisonne les relations entre Varsovie et la Commission depuis l’arrivée au pouvoir de Droit et Justice, le parti ultraconservateur dirigé par Jaroslaw Kaczynski, en 2015.

C’est la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a tiré la première. Vers 15h, la juridiction suprême de l’UE, à Luxembourg, a demandé la suspension immédiate de la Chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, institution qui n’est pas conforme au droit de l’Union. Une heure plus tard, à Varsovie, le Tribunal constitutionnel, après une courte journée de débats houleux, jugeait que les décisions de la CJUE sur la Chambre disciplinaire étaient incompatibles avec la Constitution polonaise.

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«Autrement dit, le Tribunal constitutionnel ne reconnaît plus l’autorité judiciaire de l’Union européenne en matière d’Etat de droit, qui est pourtant l’élément fondateur des traités européens, analyse Laurent Pech, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Middlesex à Londres, et spécialiste de la Pologne. Autrement dit, le Tribunal constitutionnel polonais, avec ses pseudo-juges, vient de créer les conditions d’un non-respect systématique du droit de l’Union, c’est un Polexit juridique.»

Un outil au service du pouvoir

La Chambre disciplinaire de la Cour suprême, l’organe polonais au centre de cette bataille, a été créée récemment, et a le pouvoir, en vertu de la loi dite «muselière» votée en janvier 2020, de punir les juges qui critiquent la réforme judiciaire controversée lancée par le PiS, notamment en les révoquant. La Cour suprême polonaise, estime la CJUE, n’est ni impartiale, ni indépendante. De fait, c’est un outil au service du pouvoir.

«C’est la deuxième fois que la CJUE décide de suspendre la Cour suprême polonaise [après une première fois en avril 2020, ndlr], note Laurent Pech. La décision n’a pas été respectée par la Pologne, mais la Commission a préféré fermer les yeux. Là, avec le jugement du Tribunal constitutionnel polonais de ce mercredi, ce n’est plus possible. La Commission doit fermer la porte à l’autoritarisme. L’une des solutions possibles est d’instaurer des astreintes journalières.»

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Une décision encore reportée

Quant au Tribunal constitutionnel polonais, c’est une juridiction fantoche et illégale aux yeux de l’Union européenne. La séance, mercredi, était présidée par un ancien député de Droit et Justice, qui a estimé que «les juges polonais ne deviennent pas des juges de l’Union européenne par le simple fait d’appliquer le droit de l’Union européenne» – une remarque incongrue, alors que de fait les juges polonais sont Européens et doivent appliquer la loi européenne.

Mardi, le Tribunal constitutionnel devait rendre une décision, portée directement par le premier ministre, Mateusz Morawiecki, concernant la compatibilité de la Constitution polonaise et du droit de l’UE. Elle a été reportée à ce jeudi, puis au 3 août, ajoutant encore à la confusion autour de la question de l’Etat de droit en Pologne (plus de 80 affaires en cours). Ce jeudi, la CJUE doit décider, de manière définitive, si la Chambre disciplinaire est légale.