Le Temps: Que vous inspire l’interdiction du voile intégral en Belgique et le projet de loi similaire en France? Fawzia Zouari: On remarque l’émergence d’un islam problématique en Europe depuis la Révolution iranienne. Cette marée de manifestantes voilées a marqué les esprits. Puis il y a eu en 1999 l’affaire de la lycéenne française renvoyée de son école car elle portait le foulard. De multiples rebondissements ont été répertoriés depuis. Le voile est un signe parmi d’autres de crispation sur l’islam. Ces tensions ont commencé avec l’émergence d’un islam politique sur la scène internationale et de revendications identitaires de la part des deuxième et troisième générations d’immigrés musulmans en Europe. L’ennemi communiste a alors été remplacé par le religieux et l’islam est devenu le Viagra de l’Occident. Il booste tout, les partis de droite, le populisme ou encore les médias qui évoquent chaque jour une affaire de musulmane à la piscine ou chez le docteur. Les musulmans, dès lors, se sentent stigmatisés.

– Mais qu’en est-il précisément de l’interdiction du voile? – Tous les arguments utilisés par ses partisans sont caducs. Ils parlent de rendre leur dignité aux femmes mais le sens initial du voile est justement de préserver la dignité. Dans les premiers temps de l’islam, les esclaves et les paysannes n’avaient pas le droit de se couvrir la tête. Les rois de Perse, eux, le faisaient pour se séparer du peuple. L’égalité entre les sexes est également un faux débat car il existe des femmes voilées exerçant toute autorité sur leur famille. Quant à la liberté, la plupart des femmes qui portent le niqab en France le font volontairement. La moitié environ sont des converties, elles veulent aller au bout de l’effort. Selon moi, le seul motif d’interdiction valable serait celui de la sécurité. En interdisant le niqab, la France laïque pose une contrainte aux femmes, similaire à celle des pays arabes qui les obligent à se couvrir. Cela dit, les torts sont partagés.

– C’est-à-dire? – Le port du voile intégral en Europe va à l’encontre de l’esprit initial, qui visait à rendre les femmes anonymes. Porter un niqab ici attire tous les regards vers vous au lieu de les détourner. Cela n’a plus rien de pudique, c’est presque de l’exhibitionnisme. Dans les pays à tradition chrétienne, c’est une provocation qui ne rend pas service à l’islam.

– Une interdiction risque-t-elle de durcir la confrontation? – En France, une loi a interdit le port du voile à l’école en 2004. Nous ne savons pas quelles conséquences cela a pu avoir. Les jeunes filles concernées ont-elles quitté les collèges et lycées pour des établissements coraniques? Ont-elles été convaincues par les valeurs de la République? Aucune étude n’a été publiée à ce propos.

– Peut-on être féministe et porter le voile? – Il n’y a pas un féminisme à taille unique, qui serait occidental. Tout ne se résume pas aux propos d’Elisabeth Badinter. Il existe de nombreuses féministes musulmanes, qui réinterprètent le Coran avec leur regard de femmes.

– Quelles sont, brièvement, les réalités du voile dans le monde musulman? – Elles sont évidemment multiples. Au Maghreb ou encore en Turquie, les femmes peuvent choisir de le porter ou non. En Tunisie cependant, il était interdit dans les lieux publics mais il a refait son apparition il y a peu. En Arabie saoudite, en Iran ou en Afghanistan, il est obligatoire. En Irak ou en Egypte, on assiste à un retour terrible.

– Pourquoi? – La Guerre du Golfe, la révolution iranienne… tout cela a provoqué une perte des repères et un retour du religieux. Les chaînes de télévision islamiques, qui inondent tous ces pays, donnent un ton uniforme. Le voile peut également servir de cache-misère; personne ne sait si les vêtements portés en dessous sont de bonne facture ou s’il y a des bijoux en or. Parfois, le hidjab sert aussi de protection. Le débat féministe et la révolution sexuelle se sont étalés sur un siècle en Europe, alors qu’ils sont survenus d’un seul coup dans le monde arabe. La femme s’est encanaillée et le regard des hommes a changé: «Vous voulez être libres? On va vous le rendre!». Le respect d’autrefois a disparu. Dans ce contexte, le foulard peut protéger de certains regards.