Le président français, Emmanuel Macron, entame ce jeudi une visite de deux jours à Saint-Pétersbourg. Il y rencontrera le maître du Kremlin, Vladimir Poutine. Au menu, l’accord sur le nucléaire iranien dont l’administration américaine vient de se retirer, la Syrie et l’Ukraine.

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Auteur du livre Vivre avec Poutine (Editions Temporis), Claude Blanchemaison connaît bien la Russie. Il a rencontré à plusieurs reprises Vladimir Poutine en qualité d’ambassadeur de France à Moscou de 2000 à 2004. Invité au Forum suisse de politique internationale à Genève, il a rencontré Le Temps.

Le Temps: Que faut-il attendre de la rencontre Poutine-Macron?

Claude Blanchemaison: Le sujet numéro un des discussions sera sans doute la Syrie. Les Russes peuvent avoir besoin du concours des Français et des Occidentaux. Il y a urgence à éviter de nouvelles frappes israéliennes en Syrie et le déclenchement d’une guerre entre les deux Etats. Le président Macron peut agir en modérateur par rapport à Israël et demander à son homologue russe d’en faire de même auprès de l’Iran pour lui signifier qu’il n’est pas acceptable qu’il établisse des bases militaires en Syrie et qu’il s’y installe pour avoir un accès direct à la mer.

L’Ukraine, enfin, sera aussi sujet de discussion. Je ne serais pas surpris non plus qu’Emmanuel Macron parle de la nécessité de respecter le droit international, de promouvoir le multilatéralisme et une coopération Europe-Russie, qui est inéluctable.

Vous qui avez rencontré Poutine, comment comprenez-vous sa politique syrienne?

Poutine est un bon tacticien, mais un mauvais stratège. Il sait saisir les opportunités au vol et ne s’encombre pas de convenances. En Syrie, il y avait une logique à défendre les intérêts de la Russie. De nombreux militaires syriens ont été formés en Russie, beaucoup se sont même mariés avec des Russes. Tartous est la seule base militaire russe en Méditerranée, et puis pour Moscou, la Syrie est un important marché pour les ventes d’armes. Craignant que tous ces liens puissent disparaître, il a voulu sauver le régime de Bachar el-Assad. C’est bien de gagner la guerre, mais il faut maintenant gagner la paix. Et c’est une tout autre histoire. Il me paraît nécessaire d’élargir le cercle et d’impliquer les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Le processus dit d’Astana est clairement insuffisant. Il peut servir d’appoint, mais Genève reste le processus principal.

Comment expliquez-vous les nouvelles fortes tensions entre la Russie et l’Occident?

Il y a un élément que nous avons sous-estimé. En 2001, les Américains ont dénoncé le traité ABM (missiles anti-balistiques) pour installer leur bouclier antimissile. Un tel acte, c’était la négation de la dissuasion nucléaire russe.

C’est la raison pour laquelle Vladimir Poutine a axé la moitié de son discours préélectoral sur les nouvelles armes atomiques russes qui peuvent percer tout bouclier antimissile. C’était sa manière de rétablir la dissuasion nucléaire. Mais en Occident, on ne l’a pas perçu ainsi, car le ton était très belliqueux. On a eu l’impression qu’il voulait en découdre avec le monde entier.

La remise des compteurs à zéro («reset») de l’administration Obama et du président de l’époque Dmitri Medvedev n’était-elle qu’une illusion de rapprochement?

Difficile de dire si le pouvoir russe pensait vraiment pouvoir insérer la Russie dans un cadre occidental ou s’il n’y a jamais cru. Dans un premier temps, Vladimir Poutine a réussi à replacer la Russie à une place éminente sur la scène internationale avec l’aide des Occidentaux. Cela a pris dix-huit ans, mais Moscou a ainsi pu adhérer à l’Organisation mondiale du commerce. Il était aussi question d’un espace économique commun Europe-Russie. Mais cela n’a pas marché, et la Russie s’est retournée contre ces mêmes Occidentaux.

Vers 2004, Vladimir Poutine a pris conscience que l’OTAN agissait en rouleau compresseur en tentant d’absorber tous les nouveaux candidats de l’Europe de l’Est et les pays qui appartenaient à l’Union soviétique tels que la Géorgie et l’Ukraine. Or pour Poutine, c’était une ligne rouge.

Aujourd’hui, la Russie s’affirme en grande puissance en Syrie. Economiquement pourtant, elle traverse une phase très difficile…

Depuis son accession au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine a vécu dans l’euphorie pétrolière. Du moins jusqu’en 2014. Quand les cours du pétrole ont été divisés par trois, on s’est rendu compte que l’économie et l’industrie russes étaient en très mauvais état, à l’exception du secteur militaro-industriel. Vladimir Poutine, ayant horreur des déficits qui rendent vulnérables, a mis deux ans pour rétablir l’équilibre budgétaire.

En renommant Dmitri Medvedev au poste de premier ministre, le président russe opte pour la continuité. C’est l’homme de synthèse entre le clan des ultra-sécuritaires et le clan favorable au libéralisme économique. Enfin, la présence de l’économiste Alexeï Koudrine non pas au gouvernement, mais à la tête de la Cour des comptes peut avoir son importance. Son rôle sera de s’assurer que le gouvernement fait tout pour garantir l’Etat de droit en matière économique. Car aujourd’hui, il y a peu d’investissements étrangers en Russie. Il est impératif de rendre l’industrie russe compétitive. La Russie est déjà intégrée dans le marché mondial. Elle ne peut pas se recroqueviller.

Dans ce contexte, Emmanuel Macron a une carte à jouer pour désarmer l’hostilité entre Moscou et Bruxelles, en allégeant les sanctions contre la Russie pour autant que Moscou fasse un geste, comme le rétablissement de la frontière entre la Russie et l’Ukraine. Et qui sait, peut-être serait-il judicieux d’y installer des Casques bleus pour accompagner le processus de Minsk.


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