Poutine-Obama, deux logiques en guerre
G20
La crise syrienne devrait dominer le sommet de Saint-Pétersbourg. Alors que la Maison-Blanche prône une intervention, le président russe se pose en garant du droit international. Avec Poutine, la Russie a le sentiment de retrouver sa place au centre de la scène internationale. Les partisans d’une action militaire contre Bachar el-Assad sont nettement minoritaires

C’était la formule défendue par Hillary Clinton lorsqu’elle était secrétaire d’Etat: «remettre les pendules à zéro» entre Washington et Moscou. Et c’est désormais chose faite, du point de vue russe. Lorsqu’il recevra ses hôtes du G20 sous les lambris de la magnifique Saint-Pétersbourg – la ville du tsar –, Vladimir Poutine aura sans doute du mal à camoufler sa satisfaction. «Après 15 ans d’éclipse, il a replacé la Russie au centre de la scène internationale, constate Philippe Migault, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris. C’est une victoire personnelle éclatante. Vladimir Poutine joue sur du velours.»
Quel retournement! Il y a un peu plus de quatre ans, lorsque l’administration de Barack Obama tendait la main à la Russie, le jeune président américain semblait tenir la planète entre ses mains. Rien ne lui résistait. Et pas même les vieux ennemis russes, séduits en apparence comme tout le monde par le nouveau ton, le pragmatisme et le respect des différences affichés par le nouveau maître de la plus grande puissance mondiale. Aujourd’hui, Obama n’a pas changé de méthode. Mais il semble en quelque sorte être arrivé au bout de sa logique. La place qu’il a refusé entre-temps d’occuper dans la guerre syrienne a été prise par d’autres. Maladroitement, il a tracé des «lignes rouges» (l’utilisation d’armes chimiques par l’armée syrienne de Bachar el-Assad) qui n’ont fait que le limiter lui-même, plutôt que le destinataire de l’avertissement. Lui qui, officiellement, s’était fait l’ardent défenseur de la légalité internationale se retrouve aujourd’hui à contre-emploi, comme dans un rôle qui n’est pas le sien. Il est pratiquement seul à défendre l’usage de la force contre la Syrie, en dehors du droit international. Bien plus: les missiles américains qui sont désormais prêts à frapper risquent de n’avoir aucune influence sur l’issue d’une guerre dans laquelle les Etats-Unis se sont refusés jusqu’ici à entrer, même à reculons. L’enjeu militaire est passé au second plan. Il a cédé le pas à celui d’une affirmation de pouvoir.
Or, à ce jeu-là, son amphitryon en connaît un rayon. Vu de Moscou, par les yeux d’un Vladimir Poutine qui concentre de manière tout à fait univoque l’essentiel du pouvoir politique russe, l’évolution a été différente. «Quand comptez-vous bombarder la Syrie?» aurait demandé l’ex- premier ministre redevenu président il y a un an, selon le compte rendu qu’en a fait le New York Times. C’était sa première rencontre avec un responsable américain (Tom Donilon, conseiller à la sécurité nationale). C’étaient les premiers mots que lui adressait le Russe.
Pour Moscou, le clan Assad a toujours été un allié malcommode. Mais l’alliance a résisté à tous les aléas. Oubliez la base militaire de Tartous, presque insignifiante, et les contrats d’armement, que Damas a toutes les peines du monde à honorer. L’essentiel est ailleurs, du côté notamment de cette volonté de rendre pleinement justice aux lambris de Saint-Pétersbourg. Dès l’origine, les Russes ont vu d’un œil pour le moins méfiant les secousses qui bousculaient le monde arabe. Ils ont été outrés de voir l’Amérique les manipuler pour encourager ces révoltes et déposer, avec leur prétendu blanc-seing, le dictateur Kadhafi. La Syrie, à mesure que s’intensifiait le conflit, a pris valeur de cas d’école. Le maître de Moscou avait été très clair. Il l’avait fait comprendre aux Américains, selon le même New York Times: «Il n’y aura jamais une autre Libye.»
Quitte à ce que la guerre syrienne coûte la vie à 100 000 personnes? En Tchétchénie, la Russie a fait la preuve qu’elle «comprenait» cette manière de faire. «La Syrie n’est qu’à mille kilomètres du Caucase. Si, à partir de là, la région devait connaître une forte instabilité, cela se propagerait en Asie centrale, note encore Philippe Migault. Or la Russie a connu sur son sol des attaques islamistes tout aussi traumatisantes que le 11-Septembre l’a été pour les Etats-Unis. L’insécurité est très grande encore en Ingouchie, au Daghestan ou en Tchétchénie. Ce ne sont pas des prétextes, mais un réel intérêt de sécurité de premier plan.»
Les documents des renseignements occidentaux attestant de la responsabilité du régime de Bachar el-Assad dans l’utilisation massive d’armes chimiques à Damas, le 21 août dernier? Les Occidentaux vont certainement les brandir lors de la réunion du G20 afin d’embarrasser leur adversaire. Mais, sûre de son bon droit, et prête sans doute à un ergotage sans fin, la Russie a le temps pour elle: elle attend le résultat des inspecteurs de l’ONU (qui n’ont au demeurant pas compétence pour désigner un coupable), seuls légitimés à se prononcer. La pression de l’opinion publique, horrifiée par cette attaque chimique? Pratiquement aucune puissance émergente n’a levé le petit doigt (lire ci-dessous) pour soutenir des frappes «punitives». C’est bien la Russie de Vladimir Poutine qui, aujourd’hui, fait mine de se porter garante de l’ordre du monde. C’est à elle qu’il faudra quémander une remise des pendules à zéro et un retour à la raison diplomatique.
Avant la rencontre, chacun fait le décompte de ses soutiens. Fort opportunément, à Washington, les ténors de la droite républicaine, conscients de l’enjeu, ont promis mardi leur soutien à Barack Obama. En face, les forces nationales ont été mobilisées, jusqu’à la puissante Eglise orthodoxe (garante des lieux saints chrétiens en Syrie), ou le Conseil islamique russe du mufti Farid Salman. «L’attaque chimique, c’est l’opposition», clament-ils à l’unisson.
Pour Moscou, le clan Assad a toujours été un allié malcommode. Mais l’alliance a résisté à tous les aléas