Après des mois de suspense, la décision est tombée, et elle risque d’aggraver la crise politique et économique au Brésil. Mercredi soir, le chef du parlement brésilien, Eduardo Cunha, a finalement déclenché la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT). Un an seulement après sa réélection, la protégée de l’ex-président Lula ne rassemble plus que 10% d’avis favorables. Une large majorité des Brésiliens souhaite son départ. Le gouvernement semble incapable de relancer l’économie, qui traverse sa crise la plus grave depuis 1982. La récession doit frôler les 4% cette année. Le chômage et l’inflation hantent à nouveau la population. Le Petrolão (ou «pétrolade»), l’énorme scandale de corruption au sein du géant pétrolier public Petrobras, dans lequel sont impliqués le PT et deux formations de sa coalition, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) et le Parti progressiste (PP), n’arrange rien. La présidente, elle, n’est pas personnellement en cause, du moins pour l’instant.

Membre du PMDB, Eduardo Cunha est devenu l’ennemi juré de «Dilma», qu’il accuse d’être derrière sa mise en examen pour corruption dans le cadre du Petrolão. Sa fonction lui permet de statuer sur la recevabilité des demandes de destitution (impeachment) que tout un chacun peut déposer à la Chambre. Il a ainsi jugé recevable la requête déposée par trois juristes – dont un transfuge du PT, Hélio Bicudo – et soutenue par l’opposition de droite.

Vengeance personnelle

Dilma Rousseff y est accusée de recourir à des artifices comptables pour masquer le déficit budgétaire, une entorse aux lois régissant la comptabilité de l’Etat. Son gouvernement aurait fait assumer des dépenses sociales aux banques publiques, sans leur avancer la somme au préalable. Il aurait également augmenté les dépenses sans l’autorisation préalable du Congrès. Bien que condamnées par la Cour des comptes pour l’exercice 2014, ces pratiques se seraient poursuivies en 2015.

«Il n’y a contre moi aucune accusation de détournement d’argent public, a réagi Dilma Rousseff, se disant «indignée». Nous ne pouvons laisser des intérêts indéfendables porter atteinte à la démocratie.» Une allusion à Eduardo Cunha, dont la justice a découvert les juteux comptes en Suisse… La décision de ce personnage controversé, par ailleurs issu des milieux évangéliques ultra-conservateurs, s’apparente donc à une vengeance personnelle contre le PT. Le parti venait en effet d’annoncer son intention de voter pour l’ouverture d’une enquête contre lui au comité d’éthique du parlement, qui a la compétence de «casser» son mandat.

Depuis des semaines, Eduardo Cunha agitait la menace de l’impeachment au cas où le PT n’aidait pas à le tirer d’affaire. Le gouvernement – mais aussi Lula lui-même – aurait donc voulu le ménager, histoire de le neutraliser. Il n’aura toutefois échappé à personne que l’ex-président ne s’est pas mobilisé pour faire changer d’avis son parti. Lequel a préféré tenter de sauver ce qui reste de son image éclaboussée par les scandales à répétition. Quitte à «abandonner Dilma à son propre sort», selon le mot d’un éditorialiste.

A Brasília, la bataille a commencé. Un député de la coalition présidentielle a saisi jeudi la Cour suprême pour invalider la décision d’Eduardo Cunha. Le bloc parlementaire du PT s’apprête à faire de même.

Coalition présidentielle instable

Entre-temps, le parlement devra désigner une commission spéciale qui statuera sur la demande de destitution. Au cas où son rapport préconise l’impeachment, il sera soumis à l’assemblée plénière de la Chambre des députés. Pour le juriste Dalmo Dallari, «il n’y a aucun fondement juridique pour une destitution» et donc «pas le moindre risque que cette demande aboutisse». Pour autant, réunir les 172 voix nécessaires pour bloquer la procédure ne sera pas aisé. La coalition présidentielle est instable. Comment se comportera sa principale formation, le PMDB, qui est aussi le parti du vice-président Michel Temer, appelé à gouverner le Brésil en cas de destitution?

«Le PMDB a donné son feu vert à l’impeachment et s’apprête à abandonner Dilma», croit savoir le journal O Estado de São Paulo, citant des proches de la cheffe de l’Etat. Tout dépendra en fait de la pression de la rue. La droite va-t-elle reprendre les manifestations pour exiger le départ de la présidente? La gauche va-t-elle se mobiliser contre ce qu’elle dénonce comme étant un «putsch»?