France
Au risque de conforter les lecteurs du Front national dans leur vote anti-élites, plusieurs journaux français, dont le Monde, ont choisi de dénoncer le parti d'extrême droite donné favori dimanche.

C'est une phrase qui tombe comme une sentence. «L'idéologie du Front national, ses propositions sont contraires aux valeurs républicaines, à l’intérêt national et à l’image de la France» peut-on lire ce samedi à la "Une" du quotidien français Le Monde (dont Le Temps est partenaire).
La prise de position du Monde
A la veille du premier tour des élections régionales ce dimanche, et alors que la plupart des sondages estiment que le parti d'extrême-droite peut l'emporter au second tour dans trois régions (Nord-Pas de Calais-Picardie; Provence-Alpes-Cote d'Azur; Alsace-Lorraine-Champagne- Ardennes), le respecté journal du soir a donc pris les devants. «Que reste-t-il de l’égalité quand la « priorité nationale », fondée sur une discrimination ethnique généralisée à l’emploi, au logement et aux prestations sociales, reste au cœur du projet lepéniste ? Ou quand l’immigration est dénoncée comme la cause de tous nos maux et l’immigré désigné comme le bouc émissaire ? » interroge son directeur, Jérôme Fenoglio, auteur de cet éditorial.
Du côté de La Voix du Nord
Une position paradoxalement assurée d'être utilisée par le FN comme la preuve de la détestation des élites dont il affirme être victime et du «système» politico-médiatique qu'il prétend combattre. La semaine dernière, un violent affrontement a opposé sa présidente, Marine Le Pen, tête de liste dans le Nord et donnée grande favorite, au quotidien régional La Voix du Nord (possédé par le groupe belge Rossel) qui avait titré «Pourquoi une victoire du FN nous inquiète ?». Le lendemain, La Voix avait renchéri en titrant «Marine Le Pen et le FN ne sont pas ce qu'ils disent».
Les thèses de FN confortées
Une telle montée de la pression médiatique n'est pas surprenante, vu l'enjeu de ces élections régionales, dernier scrutin avant la présidentielle de mai 2017 pour laquelle Marine Le Pen est déjà candidate. Organe de presse positionné au centre-gauche, Le Monde, comme la plupart des titres de la presse nationale hexagonale, a depuis les attentats du 13 novembre, multiplié les articles trés informés sur les possibles conséquences politiques de ces événements. La proclamation de l'Etat d'urgence par François Hollande, l'infiltration par les islamistes radicaux des flux de clandestins, l'affirmation que le pays est «en guerre» contre le terrorisme, le rétablissement des contrôles aux frontières au moins pendant la durée de la conférence climat COP 21 à Paris...confortent les thèses souverainistes et islamophobes défendues de longue date par le FN.
A l'inverse, les démêlés du parti avec la justice en raison de l'opacité de son financement et les soupçons de collusion avec certaines banques russes, ou l'affrontement familial sans merci entre Jean-Marie Le Pen et sa fille qui lui a succédé, se trouvent relégués au second plan. Le tout, sur fond d'un mode de scrutin régional à priori très favorable aux candidats frontistes: une proportionnelle intégrale où les électeurs votent à la fois pour une tête de liste pour la région, et pour des candidats départementaux, avec une prime de «sièges» accordée au second tour au parti arrivé en tête, pour lui garantir la majorité absolue.
Les protestations rituelles de Libération et L'Humanité
Le problème est que les attaques médiatiques, dans un pays où la presse écrite est en crise, n'ont jusque-là guère réussi à stopper l'ascension du FN. Lundi 30 novembre, la violente sortie dans Le Parisien du patron des patrons Français Pierre Gattaz contre le programme économique du Front national (sortie de l'euro, renforcement du protectionnisme..) jugé «irresponsable» - ce que dénonce également Le Monde - n'a guère suscité de réactions de grandes figures du secteur privé français. Les trois principaux actionnaires du Monde que sont l'ancien patron d'Yves Saint-Laurent Pierre Bergé, le magnat des télécoms Xavier Niel et le banquier d'affaires Matthieu Pigasse n'ont, par exemple, pas pris jusque-là de position publique. Le nouveau quotidien L'Opinion qui se revendique libéral et donc proche des patrons, s'est également pour l'heure abstenu d'un éditorial dénonciateur. Le grand quotidien conservateur Le Figaro accorde, lui, une large place aux éditorialistes souverainistes comme Eric Zemmour, dont les thèses tendent à converger avec celles du FN version Marine Le Pen. Quand aux quotidiens de gauche, comme Libération ou L'Humanité, leur condamnation du Front National est devenue rituelle, donc sans surprise.
Retourner l'arme médiatique
On se souvient aussi qu' à la fin octobre, Marine Le Pen avait au dernier moment boycotté l'émission "Des paroles et des actes" de France 2, refusant d'y être confronté à ses adversaires nordistes qui n'étaient pas initialement prévus sur le plateau. La présidente du FN avait de suite dénoncé la «servilité» du service public de la TV. Sa popularité n'en avait pas pâti, bien au contraire. Mieux: la présidente du FN est persuadée qu'elle peut retourner l'arme médiatique contre ceux qui la dénoncent: «Quelle idée avez-vous de vous-même pour vous croire autorisé à vous ériger en autorité morale et à lancer des fatwas contre vos concitoyens?» a-t-elle écrit dans une lettre ouverte à La Voix du Nord, très commentée sur les réseaux sociaux.
Leçon retenue ? La plupart des quotidiens régionaux, plutôt que de lancer les hostilités avant le premier tour, préfèrent en tout cas, pour l'heure, commenter l'impasse dans laquelle se retrouveront les partis traditionnels français si le FN impose un nouveau «tripartisme» à la sortie des urnes le 13 décembre. «On rappellera seulement que la liberté, c'est la capacité pour un être humain de choisir ce qui est bien, et non pas de s'abandonner à un caprice ou à un mouvement d'humeur» estimait vendredi La Presse de la Manche.