venezuela
Le président Nicolas Maduro fait descendre les prix par décrets depuis deux semaines, en espérant lutter contre l’inflation et les pénuries. Mais la production du pays souffre déjà des mesures de contrôle et le secteur privé craint des pénuries plus grandes encore

C’est déjà Noël sous les tropiques. Depuis plus de trois semaines, les Vénézuéliens font des queues parfois de vingt-quatre heures pour profiter de soldes imposés par le pouvoir: téléviseurs, jouets, outils, chaussures, motos et une liste croissante d’autres produits sont vendus parfois à 25% de leur prix initial. Face à l’affluence, les commerçants doivent limiter les entrées, la police assurer le service d’ordre pour prévenir les pillages. «Comme le nombre d’achats est limité par personne, je suis venu avec ma sœur», a raconté à la presse locale un client d’une boutique d’habits de marque. Certains empruntaient à des proches, d’autres sortaient leur carte de crédit pour profiter de l’aubaine.
A l’aise dans son rôle de Père Noël, le président «révolutionnaire» en chemise rouge Nicolas Maduro, héritier du défunt Hugo Chavez, a décidé de faire inspecter les comptes des commerces pour imposer des «prix justes». Il espère ainsi contrôler une inflation annuelle de 54% et des pénuries tournantes qui touchent plus d’un bien de première nécessité sur cinq. Les aliments, qui étaient déjà régulés, n’ont pas évolué: «Tu as un écran plat à moitié prix, mais toujours pas de farine», blaguent des habitants amers.
Le chef de l’Etat lui-même a reçu son cadeau: le parlement lui a attribué il y a dix jours le droit de gouverner par décrets-lois pendant un an pour faire face à la «guerre économique» que lui auraient déclarée les «bourgeois parasites» – le patronat et l’opposition de droite. Plusieurs textes adoptés limitent notamment le prix des loyers commerciaux et la valeur ajoutée des produits à 30% des coûts de fabrication. «J’ai réussi à faire descendre les prix, et ils vont rester où ils sont!» a assuré Nicolas Maduro. Pour le pouvoir, engagé depuis 1999 dans la construction du «socialisme du XXIe siècle», les entrepreneurs faisaient monter les tarifs artificiellement en accaparant les marchandises.
Mais avec la nouvelle politique, rétorque Jorge Roig, président de l’organisation patronale Fedecamaras, «après l’ivresse consumériste viendra la gueule de bois de la pénurie». Des petits commerces auraient déjà fermé faute de marchandises, et les autorités multiplient les inspections pour débusquer les stocks. S’approvisionner est ardu: dans ce pays producteur de pétrole et… pétro-dépendant (70% de ce qu’il consomme est importé), il faut près de six mois pour réaliser une importation à cause du strict contrôle des changes instauré il y a dix ans. Le responsable en est l’Etat, qui délivre au compte-gouttes les dollars nécessaires aux importateurs, qui ne couvriraient qu’un cinquième des besoins. «Nous devons nous fournir en dollars sur le marché noir, où ils coûtent huit fois plus cher, assure Levy Lossada, dirigeant de l’union de commerçants Fedecomercio. Cela augmente d’autant le prix final.»
La monnaie nationale, le bolivar, est tellement surévaluée au taux officiel qu’elle devient trop coûteuse même pour l’Etat et ses pétrodollars. Pour s’assurer le paiement de ses énormes et populaires programmes sociaux, le pouvoir casse les tirelires: il grignote les réserves de la banque centrale et multiplie les emprunts. Pour l’instant, la dette ne représenterait que 26% du PIB, mais les perspectives sont mauvaises: le paiement des intérêts représente le premier poste du budget et les marchés commencent à bouder les obligations vénézuéliennes. Une partie des ventes de pétrole, qui rembourse en espèces des prêts accordés par la Chine, n’entre plus dans les caisses. Et, à mesure que les Etats-Unis augmentent leur production pétrolière grâce à leur gaz de schiste, l’excédent commercial vénézuélien avec le client «yankee» diminue d’autant.
Sevré de dollars, le secteur privé s’est étiolé. Il croît six fois moins vite que le public, pour une croissance globale médiocre pour le continent (1,4% de janvier à septembre). Derrière les télécommunications et le secteur bancaire, la construction marque le pas faute de matériaux, l’automobile n’en finit pas de s’effondrer. L’insuffisance de l’offre, couplée à une demande dopée par les aides gouvernementales, pourrait pousser l’inflation à 76% l’an prochain, prévoit l’économiste Asdrubal Oliveros. «Les plus pauvres reçoivent de plus en plus d’aide, mais celle-ci est annulée par l’inflation», observe son collègue Rafael Zanoni. Un bon d’alimentation a été instauré pour compléter le salaire minimum.
Combien de temps l’Etat pourra-t-il tenir l’économie à bout de bras? Au-delà des élections municipales du 8 décembre, veut assurer Nicolas Maduro. Son gouvernement a négocié avec Samsung l’importation directe de 400 000 téléviseurs avant le 25 décembre, en attendant la mise en service d’entreprises mixtes au Venezuela. Encore faudra-t-il que ces dernières fonctionnent mieux que les usines automobiles irano-vénézuéliennes, dont la production n’a jamais décollé. Avec ou sans la magie de Noël.
«Après l’ivresse consumériste viendra la gueule de bois de la pénurie»