«Corruption, pots-de-vin et abus de pouvoir»: tels sont les chefs d’accusation transmis au tribunal de Jinan, où est attendue l’ouverture du procès de Bo Xilai ces prochains jours. «Bo a tiré avantage de sa position pour rechercher des profits pour ses proches et a accepté des sommes d’argent extrêmement importantes ainsi que des propriétés immobilières», relève un document judiciaire, cité par l’agence officielle Chine nouvelle.

Mais corrompu ne veut pas dire traître. Et pour la majorité des 29 millions d’habitants de son ancien fief de Chongqing, qui ne se font guère d’illusions sur les privilèges que s’octroient leurs officiels, le chef du Parti local Bo Xilai agissait aussi pour le bien-être collectif.

Des logements à bas coût pour 2,4 millions de résidents modestes, 10 milliards de yuans d’arbres plantés et un sentiment de sécurité retrouvé sont à mettre au palmarès de Bo Xilai depuis son parachutage à Chongqing fin 2007, après ses postes de ministre du Commerce à Pékin et de chef de la province du Liaoning.

Durant son règne, des palissades vantaient un «Chongqing vert, accessible, et civilisé». Non sans un vernis marxiste: Bo Xilai a imposé le retour des «chansons rouges» dans les écoles, les entreprises et les maisons de retraite.

L’économie de la ville rayonnait, avec une croissance de 14%, pendant que la télévision locale diffusait allégrement les épisodes d’Esprits policiers au sang de fer, une série à la gloire de Wang Lijun, le chef de la sécurité et fidèle bras droit de Bo Xilai.

Affaires convoitées

Le bon peuple de Chongqing ne savait rien des tortures que ce duo de choc, appuyé par une police au blanc-seing, infligeait dans l’anonymat des chambres d’hôtel. Devant leurs juges, les gangsters et leurs avocats se taisaient, tétanisés par l’omnipotence de Bo Xilai que le Parti devait, selon toute vraisemblance, nommer membre de son instance suprême à l’occasion du XVIIIe Congrès, à l’automne 2012: le Comité permanent du Bureau politique.

Les proies de Bo Xilai n’étaient pas tous de dangereux parrains du crime organisé. Il tenait dans son radar les entrepreneurs prospères dont il convoitait les affaires. Le plus notoire fut Li Qiang, membre de l’Assemblée populaire locale et premier transporteur privé avec mille taxis et dix lignes de bus sous son contrôle. En 2008, Li Qiang rejeta une offre municipale de rachat de sa société. Peu après, une grève de 8000 taxis paralysa la ville. Plutôt que de réprimer le mouvement, Bo Xilai dialogua avec les chauffeurs en colère et son prestige en ressortit grandi.

Au même moment, Li Qiang fut kidnappé et maintenu assis pendant quatre-vingt-un jours, un sac sur la tête. Assez longtemps pour permettre à Bo Xilai de s’emparer de ses bus et taxis, torturer six membres de sa famille et siphonner leur comptes bancaires. Après six jours d’audience, Li Qiang est reconnu coupable d’avoir fomenté la grève et versé des pots-de-vin aux officiels du Bureau local des transports. Verdict: 20 ans. «Je n’ai fait que suivre les règles du marché. Les entrepreneurs publics font la même chose mais seuls les entrepreneurs privés sont condamnés» dira-t-il à la barre.

La campagne de terreur de Bo Xilai n’épargna pas la Toile. Pour un poème corrosif publié sur Internet, le garde forestier Fang Hong fut expédié durant un an en camp de rééducation, à fabriquer des guirlandes de Noël pour 8 yuans par mois.

Epouse condamnée à la perpétuité

Il aura fallu que le chef de la police, Wang Lijun, renonce à couvrir davantage l’assassinat d’un homme d’affaires étranger par Gu Kailai, l’épouse de Bo, pour que la belle mécanique s’enraye. Le 6 février 2012, le «super-flic» de Chongqing se précipite au consulat américain, en quête d’asile. S’ensuivront le limogeage de Bo Xilai le 15 mars puis sa disparition, emporté par les hommes du Guobao, chargé de la sûreté de l’Etat. Le 20 août, Gu Kailai est condamnée à perpétuité pour empoisonnement. Le 24 septembre, Wang Lijun écope de 15 ans, pour défection, abus de pouvoir et pots-de-vin.

Le Huanqiu Shibao, journal affilié au Parti, voit dans le procès imminent de Bo Xilai «une étape de plus vers la réalisation d’un Etat de droit». Peut-être ignore-t-il que Li Qiang et d’autres adversaires de Bo Xilai croupissent toujours en cellule. Eux attendent que ce dernier soit définitivement neutralisé pour faire appel. Le verdict saura-t-il les apaiser?

Bo Xilai ne sera pas jugé pour sa campagne de terreur, ni pour ses règlements de comptes politiques. Son «abus de pouvoir» ne concerne que sa tentative de protéger sa femme. Et l’accusation de corruption porte seulement, selon le magazine chinois Caijin, sur ses actes commis lorsqu’il dirigeait la province du Liaoning, avant 2004.

En refusant d’exposer les cruels dérapages de Bo Xilai à Chongqing, la Chine rechigne à reconnaître qu’elle fabrique toujours des despotes. Le président Xi Jinping préfère attirer l’opinion publique vers sa bataille contre les officiels corrompus de tous rangs. Après la condamnation récente de Liu Zhijun, l’ex-ministre du Rail, celle de Bo Xilai devrait embellir son tableau de chasse.