Après plus de deux heures de discussions diplomatiques ronronnantes, voyant se succéder au podium le premier ministre britannique David Cameron, son homologue allemande Angela Merkel et le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon, Rouba Mhaissen a soudain jeté un froid. La jeune femme, une Syrienne qui vit entre Londres et le Liban et qui a créé l’association humanitaire Sawa for Development and Aid, a posé une simple question: «Qui dans cette salle est Syrien?» Deux mains se sont levées. «Arrêtez de parler de nous. Parlez-nous!»

Cette rare représentante de la société civile a mis le doigt sur l’un des nombreux paradoxes de la grande conférence de donateurs pour la Syrie, organisée jeudi à Londres. Si la communauté internationale s’occupe du problème syrien, elle le fait sans les principaux intéressés.

Sous la présidence commune du Royaume-Uni, de l’Allemagne, du Koweït, de la Norvège et des Nations Unies, la conférence a permis de mobiliser plus de 70 délégations internationales, qui ont promis de verser un total de 5,6 milliards de dollars d’aide humanitaire en 2016, en hausse de 60% par rapport à 2015. La Suisse y participe cette année à hauteur de 50 millions de francs. Au moins 5,1 milliards de dollars supplémentaires sont promis d’ici à 2020.

Mais de l’aveu général, ces donations sont un pis-aller: elles se font à défaut de parvenir à un cessez-le-feu. Celui-ci paraît toujours plus lointain: la conférence se déroule au lendemain de l’échec des pourparlers de Genève, qui n’avaient débuté que deux jours plus tôt. Steffan de Mistura, l’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, a officiellement annoncé leur suspension jusqu’au 25 février.

En cause: le régime de Damas, aidé par l’aviation russe, a lancé une grande offensive dans la région d’Alep. La Turquie estime que 70 000 civils fuient actuellement vers la frontière. «Cette offensive brutale du [président syrien Bachar] al-Assad et des Russes torpille les efforts de négociations, accuse Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères. On ne peut pas prétendre travailler à une solution politique tout en bombardant.»

Lire aussi : En Syrie, «l'Occident est prisonnier de la stratégie russe»

Même constat de John Kerry, le secrétaire d’Etat américain. «Le but n’est pas de signer un chèque aux réfugiés chaque année. Sinon, on se reverra dans un an, et dans deux ans… Le but est d’arrêter le flot de réfugiés, de mettre fin à la guerre.» Le président de la Confédération, Johann Schneider-Ammann, confirme: «Il ne peut pas y avoir de solution humanitaire à un problème politique.»

Reste que l’urgence humanitaire est bien réelle. Son ampleur est historique. La guerre en Syrie a fait 250 000 morts depuis ses débuts en 2011. A titre de comparaison, c’est à peu près autant qu’en Irak depuis l’invasion américaine de 2003, en deux fois et demie plus de temps. D’après les Nations unies, 13 millions personnes à l’intérieur de la Syrie ont un besoin d’aide humanitaire; 4,5 millions ont fui le pays.

A l’aune de cette catastrophe, l’effort de la communauté internationale reste insuffisant. Les Nations unies estiment avoir besoin de quelque 9 milliards de dollars cette année, presque le double de ce qui a été promis. De plus, les promesses restent souvent sans suite: l’an dernier, seule la moitié des dons a effectivement été versée.

Enfin, d’après Rouba Mhaissen, la traduction des efforts sur le terrain laisse à désirer. Selon elle, les associations locales syriennes, qui connaissent le pays et ses besoins, ne sont pas écoutées, et l’aide est presque entièrement utilisée par les grandes organisations internationales. «Nous [les représentants d’associations syriennes] avons été invités au dernier moment à cette conférence ad-hoc et beaucoup n’ont pas pu avoir de visa à cause de la «forteresse Europe», accuse-t-elle.

Rouba Mhaissen essaie de positiver, soulignant que c’est la première fois que les associations syriennes sont invitées, alors que c’est la quatrième grande conférence de donateurs. «C’est une bonne première étape.» Après cinq ans de guerre civile.