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Les rapts et la montée de l'hostilité contraignent les Américains à plus de retenue en Irak

Le président George Bush se rend compte que la puissance militaire seule ne peut répondre aux défis posés par l'insurrection sunnite de Falloujah. Il s'est déclaré dimanche «ouvert aux suggestions» pour y réduire la violence, tout comme il a dû opter pour la négociation avec les chiites de Moqtada Sadr.

Les Etats-Unis ont compris en une semaine que leur puissance en Irak peut être leur pire ennemi. A Falloujah, le cessez-le-feu tenait lundi soir depuis trois jours. A Karbala et à Nadjaf, les miliciens de l'imam Moqtada Sadr se retiraient sans que les unités américaines n'interviennent après la fin de la fête chiite d'Arbaeen. Cet apaisement, pour le moment, ne ressemble pas à ce que les généraux promettaient la semaine dernière. Pour punir les auteurs du dépeçage de quatre agents de sécurité américains à Falloujah, ils annonçaient une réplique précise et décisive. Et pour répondre au défi de Sadr, ils promettaient son arrestation et l'élimination de sa milice, l'Armée du Mahdi.

Le début d'application de ce programme militaire a eu des effets si inquiétants que George Bush a dû changer de ton: sortant dimanche d'une visite aux blessés rapatriés, près de chez lui au Texas, il s'est dit «ouvert à des suggestions» pour réduire le niveau de violence à Falloujah, où les marines n'ont pas terminé ce qu'ils voulaient faire. Car l'Irak menaçait de se déliter et d'échapper au contrôle de l'occupant: les prises d'otages se sont multipliées; un bataillon de la nouvelle force irakienne s'est mutiné, des policiers et des soldats ont changé de camp; des membres du Conseil de gouvernement ont dénoncé la brutalité de l'action américaine (600 à 800 morts à Falloujah, enterrés – comme à Sarajevo – dans des terrains de football). Tous les reporters sur le terrain ont mesuré à la fois le basculement de l'opinion en faveur de l'insurrection et le rapprochement entre chiites et sunnites contre l'occupant. Et l'onde de choc dans l'opinion arabe est telle que le général Mark Kimmit, à un journaliste qui lui en parlait, n'a trouvé que cette réponse à donner: «Changez de chaîne (ndlr: de TV)!»

Lundi soir, une quinzaine d'otages étaient encore détenus par des groupes inconnus, après une douzaine de libérations annoncées dans l'après-midi (lire encadré). Ces rapts, et leur cortège de menaces sauvages, n'ont pas seulement pour objectif, comme on l'a cru d'abord, d'influencer les responsables militaires ou d'obtenir le retrait des troupes des petits pays de la coalition. Ils visent tous les étrangers qui participent à l'entreprise de reconstruction conduite par les Etats-Unis; comme ces sept Chinois du Fujian, enlevés à peine avaient-ils franchi la frontière jordanienne pour aller chercher à Bagdad un travail bien payé. Les autres viennent de partout: Japon, Philippines, Pakistan, République tchèque, Syrie, Turquie, Grande-Bretagne, Inde, Etats-Unis… Le vice-président Dick Cheney, en tournée asiatique, s'est retrouvé dans le rôle du pompier, cherchant à éviter à Tokyo comme à Séoul que ces enlèvements ne raniment l'hostilité à l'engagement japonais et coréen en Irak. Il devait se rendre ensuite à Pékin.

Pratiquement au moment où commençaient les prises d'otages, des soldats américains ont fait à Falloujah une autre découverte qui les inquiète: des ceintures d'explosifs préparées pour des attentats-suicides.

L'impossibilité de réduire la résistance par la force commence à rendre des officiers bavards. Plusieurs d'entre eux s'exprimaient lundi, anonymement, dans le New York Times, pour s'étonner de l'incapacité des autorités civiles d'occupation de faire le moindre progrès sur le terrain politique. Les militaires ont le sentiment qu'on leur demande, selon les mots qu'utilise l'un d'eux, de «maîtriser un volcan» par les armes, alors que les hommes chargés d'organiser une transition politique sont enfermés, apparemment impuissants, dans leur camp retranché à Bagdad, pendant que le pays en révolte se défait. Comme pour leur donner raison, Paul Bremer, principale autorité américaine en Irak, affichait presque du désarroi, dimanche, dans une interview. Au journaliste qui lui demandait à qui, finalement, échoirait le pouvoir après le 30 juin, le proconsul a fait cette réponse désarmante: «C'est une bonne question.»

De toute évidence, il n'a pas encore la réponse, sauf reconduire l'actuel Conseil de gouvernement, un peu élargi, ce qui n'est pas vraiment une solution. Or pendant que Lakhdar Brahimi, l'envoyé à Bagdad de Kofi Annan, mène des discussions dans l'ombre, George Bush s'accroche à la date prévue du 1er juillet pour un passage de témoin symbolique aux Irakiens. Le président américain n'a plus que Tony Blair comme consolation. Le Britannique viendra le voir vendredi, et il a réaffirmé sa solidarité publique dans un article de The Observer. Mais avec quand même une sombre inquiétude: «Si nous échouions, écrit-il, ce qui n'arrivera pas, c'est davantage que la puissance américaine qui serait battue.»