Un organisateur du monde! Avant d’entrer en politique, Barack Obama avait fait ses armes en tant que «community organizer» dans les ghettos noirs de Chicago. Aujourd’hui, c’est devant la planète entière qu’il applique ses talents, réconciliant le Chinois Hu et le Français Sarkozy, faisant à l’occasion le guignol avec l’Italien Berlusconi, injectant un nouveau ton dans les rouages de la grosse machine mondiale, présentant comme un succès ce qui (de l’absence d’un plan de relance global de l’économie au soutien mesuré des Europeéns à sa stratégie afghane…) représente pourtant un semi-échec pour lui.

Derrière ses allures de boy-scout serviable, Barack Obama est cependant en train d’amorcer ce qui sera peut-être l’un des grands virages stratégiques des Etats-Unis. Et dans cette nouvelle définition du rôle de la première puissance mondiale, la place réservée aux alliés de l’OTAN et de l’Union européenne ne sera sans doute pas aussi centrale qu’eux-mêmes l’imaginent.

Le constat est clair, comme le résume Sharyn O’Halloran, professeure à la Columbia University: la crise économique qui secoue la planète aura, à terme, de grandes conséquences sur ce qu’elle appelle «la démocratie globale». En temps de crise, les frontières se ferment, le mécontentement fleurit, la démocratie recule. Déjà, des pays qui semblaient prendre le chemin d’une plus grande démocratisation (la Russie, la Turquie, le Mexique...) se crispent. D’autres démocraties «instables», comme l’Algérie ou l’Ethiopie menacent de rétrocéder en matière de libertés individuelles et de prendre des chemins inconnus.

Ce constat ne fait qu’accentuer davantage encore une transformation du monde désormais largement reconnue par les Américains. De la Chine à l’Inde, en passant par l’Iran ou le Brésil, de nouveaux pôles ont surgi, qui mettent en question la prééminence de l’Amérique, mais aussi de la démocratie libérale, version occidentale, en tant que seul modèle possible à atteindre. «Même si les Etats-Unis resteront sans doute l’acteur le plus important, leur force relative – même en matière militaire – va décliner… Les Etats-Unis se retrouveront comme l’un des nombreux acteurs importants sur la scène mondiale», concluait récemment un rapport du National Intelligence Council, qui rassemble les vues des services secrets américains.

Quelles institutions internationales se chargeront de refléter ce nouveau panorama mondial? Le G20, réduit encore pour l’instant à un rôle largement consultatif malgré ses promesses de débloquer des milliers de milliards de dollars? L’OTAN, ce produit de la Deuxième Guerre mondiale qui, aux yeux de l’Amérique, peine à jouer un rôle convaincant ne serait-ce qu’en Afghanistan, aujourd’hui son test principal?

Ces prochains mois, le combat promet d’être rude en réalité au sein des Nations unies à propos notamment de la réforme du Conseil de sécurité, voulue par ces puissances émergentes. Le débat peut sembler un vieux serpent de mer, présent sur la table depuis une quinzaine d’années. «Mais la crise économique est en quelque sorte une chance pour l’ONU, constate un diplomate. Car on n’arrive pas à résoudre ailleurs les problèmes qui surgissent aujourd’hui.» Il se pourrait fort que, faute de mieux, on se voit forcé de se tourner vers les vieilles Nations unies pour faire face aux «défis globaux» – le terrorisme, le réchauffement climatique, voire la crise des marchés financiers – constamment mis en avant par la nouvelle administration américaine.

D’ores et déjà, les célèbres think tanks (réservoirs d’idées) s’activent à Washington, surtout dans les milieux proches de l’administration Obama et de la gauche américaine. L’idée? Trouver une formule de remplacement à «l’idéalisme» prôné par George Bush et les néoconservateurs, dont les velléités de démocratiser le monde à coups de canon ont piteusement failli. Mais de chercher, également, une alternative face à l’idéologie de la gauche qui consiste à prôner pareillement l’extension du domaine de la démocratie, même si c’est par d’autres moyens.

«Les Etats-Unis doivent accepter la perspective que la démocratie libérale doit entrer en concurrence, de manière respectueuse, sur le marché des idées avec d’autres types de régimes.» Ce commentaire de Charles Kupchan, professeur à la Georgetown University, ouvre le dernier numéro de la revue Democracy, l’une des principales tribunes des libéraux (gauche) américains. Même s’il se montre convaincu que la démocratie «reste la meilleure forme de gouvernement, tant moralement que matériellement», l’auteur plaide pour une plus grande acceptation des régimes autoritaires, pour autant qu’ils affichent un bilan plus ou moins respectable en matière de gouvernance et d’autonomie de leurs citoyens.

Cette vision, qui signifie un retour à un «réalisme politique» peu regardant en matière de respect des droits de l’homme, n’est pas l’œuvre d’un farfelu: c’est de la matrice de Democracy que vient notamment la nouvelle représentante des Etats-Unis à l’ONU, Susan Rice. Et, vis-à-vis de l’Iran, comme de la Russie, Barack Obama n’a cessé de prôner, par-dessus les épaules des Européens, le «respect mutuel». Un concept central pour ceux qui, comme le professeur Kupchan, veulent voir les Etats-Unis orchestrer un nouvel ordre mondial «davantage pluraliste».