A pied, en train ou en convoi d’autocars, partis de Madrid, Barcelone, Lisbonne, Toulouse, Londres, Vienne, Berlin, Gênes, ils convergeront samedi vers la Grand-Place de Bruxelles. Des rassemblements sont aussi prévus à Genève, Zurich, Bâle et dans une cinquantaine de villes européennes. La mobilisation s’organise au cœur de New York, devant Wall Street, ainsi que dans de nombreuses villes américaines. Ils sont des milliers d’Indignés à vouloir témoigner leur colère et leur désespoir face à une situation économique et financière qu’ils jugent injuste, immorale et qui ne profite, selon eux, qu’à une poignée de privilégiés. Même dans des pays relativement épargnés par la crise comme l’Allemagne, l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de s’agrandir, soutiennent-ils.
A l’opposé du mouvement altermondialiste qui, dès sa création en 1999, revendiquait plus de justice pour les pays pauvres de l’hémisphère Sud, le mouvement des Indignés répond d’abord à des préoccupations locales, propres à l’Europe et aux Etats-Unis, deux continents laminés par la crise financière, par la récession qui s’en est suivie et, maintenant, par la crise de la dette et du déficit budgétaire. Les Indignés se sont constitués en collectif d’associations, sans structures formelles et sans revendications clairement formulées à ce jour. «Le mouvement s’organise grâce aux réseaux sociaux et à Internet», explique Matthieu Béguelin, président du Parti socialiste neuchâtelois et proche des activistes américains. «L’idée d’une journée mondiale est venue des Etats-Unis, lancée par la plate-forme «Occupy Together» qui regroupe notamment les fers de lance «Occupy Wall Street» et «The 99%». Cette journée marque un mois d’occupation de la bourse de New York, entamée le 17 septembre», poursuit-il.
«On pensait naïvement que les citoyens du Sud avaient le monopole de la détresse, écrit le professeur Chems Eddine Chitour, l’un des penseurs du mouvement des Indignés. Il n’en est rien.» Selon lui, les conséquences sociales de la crise économique et financière frappent de plein fouet des milliers de familles, affaiblissent les institutions nationales alors que les gouvernements sont soumis à la toute-puissance du marché.
De l’Espagne à la Grande-Bretagne, en passant par la Grèce, le Portugal, l’Irlande, la France et l’Italie, tout comme de l’autre côté de l’Atlantique, voici les raisons de la colère.
Les plans d’austérité
Le surendettement et le déficit budgétaire plombent la plupart des économies. Pour se refinancer à des taux raisonnables, les Etats doivent se plier aux exigences des marchés. Résultat: les mesures d’économies frappent les services publics de façon brutale. La baisse des salaires ne concerne pas seulement les fonctionnaires, mais également les retraités. De nouvelles taxes sont décidées et d’autres sont augmentées. Le pouvoir d’achat s’effrite. La consommation et la production reculent. Par conséquent, mois après mois, les instituts conjoncturels révisent les perspectives à la baisse et le désespoir s’installe. En Grèce, par exemple, depuis le début de l’année, de plus en plus de gens en sont réduits à dormir dans les jardins publics.
Explosion du chômage
En Espagne, le taux de chômage a bondi à 20% de la population active. Chez les jeunes de moins de 25 ans, il est de 42%. Dans ce pays où les allocations sociales aux chercheurs d’emploi sont limitées à deux ans, ce sont plusieurs milliers de personnes qui se retrouvent sans moyen de subsistance. Dans la zone euro, une personne sur dix est désormais sans travail. Idem aux Etats-Unis, où le nombre des nouveaux emplois est inférieur à celui des licenciements. Les Indignés n’hésitent pas à parler d’une génération sacrifiée aux impératifs des marchés financiers.
L’avidité des banques
Les Indignés ont le sentiment qu’ils sont les victimes de mauvaises politiques menées par les institutions bancaires. Ils expliquent qu’aux Etats-Unis la crise des «subprime» a été la conséquence directe de l’irresponsabilité et de l’avidité des banques. Puis, lorsque celles-ci se sont retrouvées en mauvaise posture, c’est Washington qui s’est empressé de les renflouer avec l’argent des contribuables. Selon l’économiste Eric Toussaint, l’endettement de l’Etat belge est passé de 84,2% du PIB en 2007 à 96,2% en 2009 à cause de l’aide apportée pour sauver la banque Fortis. «La facture va s’alourdir davantage avec la récente crise de la banque Dexia. Ce sont les contribuables qui paient le sauvetage des banques. Quant aux responsables de la crise, les banques, elles continuent à s’enrichir et à spéculer sur des titres risqués», écrit-il dans une chronique publiée dans Le Soir.
Les cautions
En Europe, l’humaniste Stéphane Hessel, auteur du fascicule Indignez-vous!, a appelé à l’insurrection des consciences. Aux Etats-Unis, les milliardaires Warren Buffett et George Soros et les Prix Nobel Paul Krugmann et Joseph Stiglitz disent comprendre la colère des Indignés.