Une cheffe discréditée
Carrie Lam elle-même semble avoir perdu tout crédit, comme l’ont encore illustré ces dernières heures où elle a soufflé le chaud et le froid sur son autonomie par rapport au pouvoir central. Tour à tour, elle a déclaré vouloir quitter ses fonctions sans le pouvoir, puis nié catégoriquement avoir présenté sa démission à Pékin.
Mais au-delà de sa personne, c’est la fonction même de chef de l’exécutif de Hongkong qui a été remise en question par cette crise sans précédent depuis la rétrocession en 1997. Face à son incapacité à mater la rébellion, le gouvernement central a dû montrer les muscles jusqu’à masser des troupes à la frontière.
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Carrie Lam a évoqué mercredi ces «griefs profondément enracinés» dans la société hongkongaise. Elle a ainsi reconnu que la contestation du projet de loi d’extradition avait fait rejaillir de profondes tensions, en particulier concernant les réformes du système électoral inscrites dans le texte qui sert de Constitution à Hongkong et jamais entièrement réalisées.
La bourse s’envole
Mercredi, la bourse de Hongkong s’est envolée avec l’hypothèse d’un retrait du texte sur l’extradition. «Les investisseurs n’ont peut-être pas réalisé que le mouvement a basculé pendant les mois d’obstination du gouvernement, et le principal slogan est désormais «Libérez Hongkong, la Révolution de notre temps», note sur Twitter Ben Bland, chercheur à l’institut Lowy, suggérant une crise profonde et durable.
Investors may not have realised that the movement has shifted somewhat during months of government obstinacy and a main slogan is now "Liberate Hong Kong, Revolution of our Times". https://t.co/VfllRnOK3S
— Ben Bland (@benjaminbland) 4 septembre 2019
Pour preuve, comme tous les soirs depuis une semaine, des Hongkongais ont ouvert leurs fenêtres à 22h pour crier leur colère et leurs revendications. Plus fort encore que la veille.
Le retrait du texte arrive «bien trop tard. S’il était survenu il y a deux mois, nous aurions vu beaucoup moins de sang couler et le mouvement lui-même ne serait pas devenu aussi gros pour défendre les libertés», commente Bonnie Leung, porte-parole du Front civil des droits de l’homme. Le groupe a organisé les marches monstres qui ont réuni, affirme-t-il, jusqu’à 2 millions de personnes.
Demandes d’enquête
Plusieurs demandes restent entières. Au premier plan: l’ouverture d’une enquête indépendante sur les actions policières. «La police a désormais les pleins pouvoirs, des officiers violent les règles au quotidien en utilisant une force disproportionnée non seulement contre des manifestants mais aussi contre des piétons et des passagers dans le métro passés à tabac sans discrimination et sans aucune conséquence judiciaire», poursuit Bonnie Leung. «On ne peut laisser faire. La création d’une enquête est donc cruciale pour que notre société revienne à la vie d’avant, quand l’Etat de droit était respecté. C’est la seule façon de reconstruire la confiance des Hongkongais.»
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Carrie Lam n’entend pas céder sur ce point, pas plus que sur les demandes de réformes électorales. Et la cheffe de l’exécutif local conserve l’appui du gouvernement central. Lors d’une rare et longue conférence de presse mardi, Pékin a appelé toutes les institutions de Hongkong, la justice et le parlement y compris, à se montrer fermes pour faire cesser l’agitation. En écho, au plus haut sommet du pouvoir, Xi Jinping a appelé, dans un discours devant des officiers, à une détermination absolue pour combattre et défaire tout ce qui mettrait en danger la direction du Parti communiste chinois.
«C’est une bombe à retardement»
Il est donc à parier que la réponse contre les manifestants hongkongais qualifiés par Pékin de «violents émeutiers» et de «terroristes» désireux de fomenter «une révolution de couleurs» sera particulièrement ferme, plus encore qu’après le «mouvement des parapluies» en 2014. Un conseiller de Carrie Lam a notamment suggéré de recourir à la police secrète.
«Même s’ils arrivent à opprimer la population et faire taire le mouvement, les demandes modérées non pas été écoutées et cela a radicalisé beaucoup de Hongkongais», notamment des jeunes, souligne Jean-François Dupré, politologue à l’Institut de sociologie de l’Académie Sinica à Taïwan. A ses yeux, «mettre une génération en prison ne résoudra pas le problème. C’est une bombe à retardement.»