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Réformer le Conseil de sécurité: un rocher de Sisyphe

Le Conseil de sécurité de l’ONU dont la Suisse va faire partie à partir de 2023 est paralysé quand les crises touchent directement aux intérêts des grandes puissances. Joe Biden, Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont appelé à concrétiser enfin une réforme de l'organe

Réunion du Conseil de sécurité de l'ONU en présence des ministres des Affaires étrangères des Etats membres permanents et non permanents. New York New York United States Copyright: LevxRadin — © IMAGO/Lev Radin / IMAGO/Pacific Press Agency
Réunion du Conseil de sécurité de l'ONU en présence des ministres des Affaires étrangères des Etats membres permanents et non permanents. New York New York United States Copyright: LevxRadin — © IMAGO/Lev Radin / IMAGO/Pacific Press Agency

La guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février, a été au cœur des discours à la tribune de la 77e Assemblée générale de l’ONU la semaine dernière à New York. Elle a surtout mis en évidence de façon criante les graves déficiences du Conseil de sécurité des Nations unies et son incapacité à «maintenir la paix et la sécurité» internationale en vertu de l’article 1 de la Charte des Nations unies. Sur les bords de l’East River, ce constat a donné lieu à des déclarations inattendues de la France et des Etats-Unis, deux des cinq membres permanents, dit «P5», (avec la Chine, la Russie et le Royaume-Uni) du Conseil de sécurité.

Voix au chapitre

Le président français a insisté: «Je souhaite que nous engagions enfin la réforme du Conseil de sécurité.» L’organe suprême de l’ONU représente l’ordre établi par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Pour Emmanuel Macron, les membres du P5 «ne sont plus les seuls à avoir leur mot à dire». Il importe que l’organe onusien «accueille de nouveaux membres permanents et qu’il soit capable de jouer son rôle tout en limitant son droit de veto en cas de crimes de masse». Le président américain Joe Biden a enfoncé le clou: «Les membres du Conseil de sécurité, y compris les Etats-Unis, se doivent de respecter et défendre la Charte de l’ONU et de limiter le recours au veto, sauf dans des situations rares et extraordinaires afin que le Conseil reste crédible et efficace.» Il plaide même pour l’octroi de sièges permanents à «des pays en Afrique, en Américaine latine et dans les Caraïbes».

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Que les Etats-Unis engagent la discussion sur ce thème est inédit. Représentant de l’International Crisis Group auprès de l’ONU à New York, Richard Gowan le souligne: «De nombreux leaders ont parlé du dysfonctionnement du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis pouvaient ignorer ces critiques ou au contraire se positionner comme potentiels chefs de file des réformes. Ils ont pris la seconde option. Mais je ne suis pas sûr qu’ils savent où ils veulent aller. La réforme de la composition du Conseil est difficile en temps normal. Elle serait exceptionnellement difficile aujourd’hui.» Ambassadeur de France auprès de l’ONU à New York de 2009 à 2014, Gérard Araud est plus critique: «La position américaine est un peu hypocrite. Washington s’est opposé à toute réforme au cours des quinze dernières années. Le Conseil de sécurité est dominé par les Occidentaux. Or le Sénat américain n’acceptera jamais de le réformer au risque d’affaiblir la position occidentale.»

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Pour Richard Gowan, si la question d’un siège ou de deux sièges permanents pour les Africains au Conseil de sécurité est souvent évoquée par les grandes puissances, ce n’est pas un hasard: «Ces puissances se livrent une vraie bataille dans la confrontation de blocs pour s’assurer le soutien des pays africains dans les batailles à venir au sein de l’ONU.»

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Obstacles multiples

Les velléités visant à modifier la composition du Conseil de sécurité ne sont pas nouvelles. Dans les années 1990, des voix se faisaient entendre pour prendre les devants. En 2005, lors du Sommet mondial onusien, plusieurs pistes avaient été discutées. Quatre Etats sont même passés à l’offensive dans le cadre du «Groupe des quatre». L’Inde, le Japon, le Brésil et l’Allemagne ont revendiqué un siège permanent. Etait aussi mentionnée l’Afrique du Sud. Aujourd’hui, la Chine ne veut pas réformer le Conseil de peur de voir le Japon ou l’Inde y accéder. Le Pakistan refuse de voir l’Inde obtenir un droit de veto. L’Argentine nourrit les mêmes réserves par rapport au Brésil. Même l’Italie s’opposa à la perspective de voir Berlin devenir un membre permanent. Professeur au Graduate Institute à Genève, Thomas Biersteker le relève: «En termes de représentativité, l’Inde doit faire partie du Conseil au vu de sa population et de sa diversité. Le Brésil aussi. Quant au Japon et à l’Allemagne, ils jouent un rôle majeur de contributeur au sein de l’ONU.» L’ex-ambassadeur Gérard Araud est sceptique: «En Afrique, personne ne veut être représenté par Pretoria. Tout est bloqué de toutes parts. Pour moi, la réforme, c’est une illusion.»

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Si la réforme la plus ambitieuse semble mort-née, des alternatives pourraient peut-être trouver les faveurs des Etats. Pour assouplir le droit de veto qui constitue désormais un obstacle à la paix, Kemal Dervis et José Antonio Ocampo, chercheurs à la Brookings Institution, un groupe de réflexion à Washington, ont leur idée. Ils proposent d’introduire un mécanisme permettant de renverser le droit de veto d’un P5 en «ajoutant une clause à l’article 27 de la Charte de l’ONU». Il faudrait une double majorité très large – au moins deux tiers des Etats membres représentant deux tiers de la population mondiale – pour lever un veto. D’autres idées ont vu le jour. L’une consiste à créer une nouvelle catégorie de membres qui n’auraient pas de sièges permanents, mais pourraient siéger au Conseil pendant deux périodes consécutives de quatre ou cinq ans.

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Le rôle de l’Assemblée générale

Quant au droit de veto, deux événements montrent que les choses peuvent bouger. Ainsi, en avril dernier, l’Assemblée générale a adopté une résolution proposée par le Liechtenstein visant à accroître le coût politique de l’usage du droit de veto. Si ce dernier est utilisé, le P5, qui en est l’auteur, devra s’expliquer devant l’Assemblée générale. Il devra assumer de fait un coût réputationnel. Autre léger progrès: la France est prête à renoncer à l’usage du veto en cas d’atrocités de masse. Elle s’est notamment inspirée d’une proposition faite par la Suisse dans le cadre du groupe d’Etats appelé «ACT». A ce titre, le président de la Confédération Ignazio Cassis a rappelé à New York l’engagement de Berne en faveur des réformes des méthodes de travail du Conseil alors que la Suisse sera membre non permanent pour deux ans dès le 1er janvier.

Richard Gowan tient enfin à nuancer l’incapacité du Conseil de sécurité à agir sur d’autres fronts que l’Ukraine ou la Syrie: «Il a adopté près de 30 résolutions depuis le 24 février sur d’autres questions. La situation est meilleure qu’en 1959, où il n’adopta qu’une seule résolution au cours de toute l’année.» Gérard Araud surenchérit: «Il y a eu des périodes durant la guerre froide où le Conseil de sécurité ne se réunissait même pas. Arrêtons ce romantisme onusien. Dès qu’un conflit touche aux intérêts d’une grande puissance, le Conseil est paralysé. Le travail précieux accompli par l’ONU, ce sont ses agences qui le font.»