Rarement un rapport d’audit aura fait couler autant d’encre. Et pour cause: il est en grande partie tenu secret et il concerne une organisation qui brasse des centaines de millions de francs. La fondation des immeubles pour les organisations internationales (Fipoi) est à la fois le promoteur immobilier, le régisseur et le banquier de la Genève internationale. C’est aussi elle qui est amenée à mettre en oeuvre ou assister de nombreuses rénovations de bâtiments vieillissants, à commencer par le Palais des Nations, qui abrite le siège européen de l’ONU.

Les Etats membres des Nations unies doivent voter les crédits de cet énorme chantier devisé à 837 millions de francs d’ici la fin de l’année. Consciente du péril, la Suisse a proposé de financer près de la moitié des travaux par un prêt sans intérêt. Cet argent, en cas de feu vert onusien, loin d’être gagné, passerait par la Fipoi.

On comprend mieux la nervosité du canton de Genève et de la Confédération, qui chapeautent conjointement la fondation. Genève et Berne ont obtenu que les chapitres clefs et les recommandations du rapport d’audit réalisé par la cour des comptes genevoise ne soient pas rendus publics. Un fait rarissime. «C’était une demande du conseil de fondation de la Fipoi. La nécessité de ne pas donner d’arguments aux concurrents de Genève primait sur l’intérêt public de publier l’entier du rapport», justifie François Paychère, l’un des magistrats de la cour des comptes.

Que contient donc ce fameux rapport de si inquiétant pour Genève et la Suisse? L’aspect le plus sensible concerne les procédures d’adjudication, soit l’attribution de marchés. La cour des comptes a relevé des «lacunes» dans ce domaine, confirme l’ambassadeur suisse auprès des Nations unies à Genève Alexandre Fasel, qui préside le conseil de fondation de la Fipoi jusqu’à la fin de l’année. «Le travail de la Fipoi consiste à répondre aux demandes des organisations internationales et ce au meilleur prix. Le dommage à la réputation de la Fipoi est d’autant plus gênant que Genève est déjà considérée comme une ville très chère», explique un observateur.

Procédure opaque

La plupart des grands projets architecturaux, comme l’extension de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que la rénovation Palais des Nations, ont fait l’objet de concours internationaux. Mais, selon des professionnels que nous avons interrogés, l’attribution des marchés pour des projets de rénovation de moindre importance est beaucoup plus opaque.

«La Fipoi est une fondation de droit privé. Elle n’est donc pas soumise à la loi sur les marchés publics. Elle applique son propre règlement interne, répond Alexandre Fasel. A l’avenir, nous introduirons les standards de la Confédération.» Le diplomate se défend d’avoir tardé à réagir. La plupart des recommandations de la cour des comptes seraient déjà mises en oeuvre. «Une refonte du système de contrôle interne est en voie de concrétisation», pointe Alexandre Fasel.

Ces mesures, ajoutées à l’annonce du départ prochain du directeur de la Fipoi François Reinhard et de son adjoint, semblent avoir donné satisfaction aux élus fédéraux. Lundi, le Conseil national a approuvé à une confortable majorité un prêt de 54,4 millions de francs pour la construction d’un nouveau bâtiment au siège de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Selon le Tages Anzeiger, François Reinhard aurait demandé à des employés d’effectuer des travaux à son domicile privé. «Depuis que je suis directeur de la Fipoi, aucun de mes employés n’a changé une roue ou un pneu de ma voiture et aucun collaborateur n’a jamais touché un brin d’herbe de mon jardin», conteste ce dernier.

Lanceur d’alerte

L’affaire avait commencé par l’alerte donnée par un employé de la Fipoi auprès du Contrôle fédéral des finances (CDF). Cette dénonciation avait abouti au licenciement de deux collaborateurs au printemps 2014, pour un petit mandat confié à un proche. Mécontent que les mesures se limitent à cela, le CDF avait saisi la cour des comptes genevoises. «Les bonnes décisions ont finalement été prises», dit aujourd'hui Michel Huissoud, le directeur du CDF. Aucune infraction pénale n'a été constatée à ce jour, selon lui.

Quant à François Longchamp, le président du Conseil d’Etat genevois, qui était à la tête du conseil de fondation en 2014 et qui s’apprête à rempiler dès janvier, pour un mandat de trois ans cette fois, il se borne à déclarer qu’il «poursuivra les réformes en cours d’entente avec la Confédération, au moment même où la Fipoi va faire face au plus important programme de travaux de son demi-siècle d’histoire».