Pourquoi rester en Afghanistan?
suisse europe express
La Suisse a tranché au printemps 2008, en rappelant les quatres officiers helvétiques détachés en Afghanistan. Décision symbolique, alors que la guerre contre le terrorisme semblait à bout d’arguments. La plupart des pays européens, eux, y restent déployés aux côtés des Etats-Unis. Mais plus par solidarité que par conviction du bien-fondé de la mission.
SUISSE-EUR, Kandahar
Camp Nathan Smith, Kandahar: sur la carte de la Force internationale d’assistance (ISAF) en Afghanistan, ce cantonnement situé à la périphérie de la grande ville du sud pashtoun n’est qu’un point parmi d’autres. En réalité, Camp Nathan Smith, comme tous les autres postes avancés de la coalition dans le sud du pays, bastion des insurgés, est un baromètre. Ce qui se passe autour donne la température du conflit. Aussi bien au sein de l’Isaf, forte aujourd’hui de 130’000 hommes, qu’au sein de la population et de l’administration afghane.
Première leçon: la guerre qui se déroule en Afghanistan est de plus en plus américaine. Situation logique: vu la montée en puissance décidée par la Maison-Blanche, et l’arrivée sur place de plus de 30’000 soldats débarqués des Etats-Unis, le centre de gravité de l’Isaf a définitivement basculé.
C’est surtout le cas dans le sud, où se joue le destin du conflit, sur le plan militaire et politique. Les Néerlandais sont en train d’achever leur retrait de l’Uruzgan. Les Britanniques, bien que toujours présents dans le Helmand, viennent d’abandonner le commandement régional « sud ». Les Canadiens se préparent à quitter Kandahar. Place aux forces américaines, comme toujours suréquipées. A elles d’arracher aux insurgés cette « fenêtre d’opportunité » tant espérée à Washington, pour que le gouvernement afghan puisse se redéployer, afin de préparer la transition à hauts risques 2011-2014 à l’issue de laquelle l’administration Obama espère avoir transféré l’essentiel de l’autorité et de la conduite des hostilités aux Afghans.
La seconde leçon, dès lors, est la nécessité pour les alliés de trouver, dans cette phase de « sortie stratégique », de solides arguments pour justifier le maintien de leurs troupes. Le plus évident, bien sur, est la solidarité envers Washington. Pas question de laisser les Etats-Unis seuls. C’est ce refrain qui sera entonné, les 19 et 20 novembre à Lisbonne lors du sommet de l’Otan. Mais peut-on s’en contenter ? Les Européens doivent-ils, les yeux rivés sur le calendrier et le prochain retrait, simplement patienter dans l’ombre du général David Petraeus et de sa contre-insurrection ? La question mérite d’être posée, tant les différences de budgets et de troupes sont criantes. Les pays de l’UE maintiennent en Afghanistan environ 40’000 hommes, soit 25% de l’effectif total. Ils n’ont pas d’autre choix que de suivre. Soit. Mais cela-peut il durer ? Et cela signifie-t-il qu’ils doivent, pour ne pas gêner la Maison-Blanche, en accepter sans ciller la stratégie et les méthodes ?
C’est autour de cette interrogation que se situe la troisième leçon. Condamnés à jouer le rôle de figurants sur le plan militaire, les pays européens doivent en même temps des explications à leurs populations et à leurs troupes, écartelées entre les demandes toujours plus pressantes des états-majors et les réductions annoncées, partout, des budgets de la défense.
Rester en Afghanistan doit répondre à un autre but que le simple soutien à l’Amérique. L’argument sécuritaire et anti-terroriste, à réviser compte tenu du repli des insurgés talibans, doit être repensé. L’argument humanitaire au sens large (soutien aux populations, aux femmes afghanes...) doit être rappelé avec les nuances qui, là encore, s’imposent. L’argument politique ne doit, enfin, pas être négligé. L’Asie centrale se profile comme un nouveau « noeud » stratégique. Rester dans la coalition signifie donc garder l’accès aux informations sur ce front crucial. L’Union européenne, qui conserve des prétentions globales, doit faire ce genre d’efforts si elle veut demeurer un acteur pertinent sur le plan diplomatique et militaire.
Le risque, alors que la guerre connait un tournant grâce aux succès - temporaires ? - de la contre -insurrection, serait de remplacer ces explications par des soi-disants statistiques victorieuses afin d’apaiser la contestation dans les capitales. L’UE doit, au contraire, demeurer vigilante. Rester en Afghanistan a un prix humain, militaire et financier. Cela doit donc répondre à une volonté politique et s’accompagner d’un « droit de parole » aux côtés des américains. Beaucoup, ici, s’inquiètent par exemple de l’impact problématique de la contre-insurrection sur le droit international humanitaire. La prolifération des milices afghanes aux ordres des Américains, chargées de nettoyer les zones problématiques, inquiète le Comité international de la Croix Rouge. Parce qu’elle continue justement de combattre, l’Europe ne doit surtout pas se taire sur la conduite, et les risques, des opérations en cours.