c’est la mort d’un symbole. Al-Qaida est organisée depuis plusieurs années sous une forme décentralisée et régionalisée, elle ne disparaît pas avec son chef, d’autant plus que Ben Laden n’était plus, depuis plusieurs années déjà, ni le financier de l’organisation, ni son chef militaire, ni encore son idéologue. Il avait délégué tous ces rôles.
– Qui tient ces différents rôles?
– C’est le numéro deux, Ayman al-Zawahiri, l’idéologue d’Al-Qaida. Il dirige l’organisation depuis plusieurs années. Il a commencé sa carrière en Egypte en tant que membre de différents groupes islamistes, avant de fonder le Djihad islamique, une organisation égyptienne radicale, qui participe notamment à l’assassinat du président Sadate. Suite à cela, il est emprisonné. A sa sortie, il s’est radicalisé. Il rejoint l’Afghanistan à la fin des années 1980 pour se battre aux côtés de Ben Laden contre les Soviétiques. En tant que médecin personnel de Ben Laden, il le suit partout, les deux hommes deviennent très proches. En 2001, il est nommé porte-parole d’Al-Qaida. Depuis, il trace la ligne idéologique de l’organisation et se charge de diffuser ses messages. Il s’occupe en outre des relations avec les différentes branches de l’organisation, un peu partout dans le monde.
– Et, en dehors de lui, existe-t-il une relève pour l’organisation?
– Chaque branche possède sa figure montante. Dans la région Afghanistan et Pakistan, outre Ayman al-Zawahiri, il reste Saïf Al-Adl. Au Yémen, il s’agit de l’islamiste américano-yéménite Anwar al-Awlaki, un trentenaire très actif dans la péninsule Arabique. Au Maghreb, c’est le chef d’Aqmi, Abdelmalek Droukdel, qui a tout juste 40 ans.
– Quelle est la force du mouvement aujourd’hui?
– Dans la branche de l’Afghanistan et du Pakistan, où se trouvait Ben Laden, presque tous les chefs ont été éliminés. Avant de se débarrasser de Ben Laden, ils ont tué Saïd al-Masri, alias Moustafa Abou al-Yazid, numéro trois et responsable opérationnel d’Al-Qaida. Dans cette région, l’organisation est décimée.
Les autres branches d’Al-Qaida sont plus ou moins actives selon les régions. Les plus puissantes sont Al-Qaida dans la péninsule Arabique, Aqpa, basée au Yémen, et Al-Qaida au Maghreb islamique, Aqmi, en Afrique du Nord et au Sahel. L’organisation possède aussi une présence résiduelle en Irak, appelée l’Etat islamique d’Irak (EII). Chacune de ces organisations compte environ 500 membres. A côté de cela, le groupe armé des shebabs somaliens, qui compte environ 5000 membres, se réclame d’Al-Qaida, même s’il n’a pas reçu l’allégeance de Ben Laden. Ils sont en voie d’être reconnus par l’organisation. Sans oublier les individus isolés un peu partout dans le monde occidental, qui se revendiquent de Ben Laden sans jamais l’avoir vu.
– Qu’en est-il des cellules dormantes en Europe?
– Elles n’existent plus, ce sont plutôt des loups solitaires, qui nourrissent un ressentiment envers l’Occident, la démocratie et le système financier et qui, désœuvrés, vont entrer dans la logique du terrorisme.
– Quelle est l’influence d’Al-Qaida dans le monde arabe?
– Depuis la révolution tunisienne en janvier, elle fait face à un dilemme. Les peuples arabes ont démontré qu’ils pouvaient abattre un régime de façon pacifique. Or Al-Qaida a toujours affirmé le contraire. Citant la Tunisie et l’Egypte en exemple, elle a sans cesse martelé que, dans le monde arabe et musulman, le changement ne peut être amené que par la violence, le djihad et le terrorisme. Sur ce point-là, elle a perdu. Aujourd’hui, elle cherche sa place dans le nouveau contexte arabe pacifique. Le moindre acte terroriste dans les pays libérés susciterait un tollé général. Elle serait en outre soupçonnée de vouloir voler la révolution. Concrètement, elle ne peut plus avoir de grande influence. C’est le début du déclin. Toutefois, elle est très implantée et les raisons objectives de son existence – misère, corruption et autoritarisme – n’ont pas disparu. Elle a donc encore de beaux jours devant elle mais, dans le fond, elle n’est plus en mesure de justifier son existence, surtout si les révolutions arabes réussissent. En revanche, si elles débouchent sur de nouvelles dictatures, nous risquons de voir un renforcement du terrorisme pour quelques années encore. C’est le déclin d’Al-Qaida, mais pas la fin du terrorisme.
– Quelles sont les cibles d’Al-Qaida aujourd’hui?
– Toujours les mêmes depuis sa création: les régimes en place dans les pays musulmans et leurs soutiens occidentaux. Ses axes idéologiques n’ont pas changé, elle considère que les musulmans qui ne se battent pas contre les Occidentaux ne sont pas de vrais musulmans et que l’occident est un ennemi. Enfin, elle prône le «martyrisme», qui veut que l’objectif d’un djihadiste est de mourir pour Allah. Or, depuis janvier, tout a changé, Al-Qaida se trouve marginalisée dans le mouvement général de libération des peuples arabes. L’élimination de Ben Laden tombe bien, il disparaît l’année des révolutions arabes. Cela prouve à la fois la faillite idéologique et l’échec de l’organisation, même si elle continue. On peut craindre une riposte car, à chaque fois qu’Al-Qaida a perdu un membre important, elle s’est vengée. Les Américains doivent être très vigilants.