Un ministre de la Culture ouvertement révisionniste, qui explique que «l’antifascisme n’est qu’une platitude», et qui a longtemps milité dans les groupuscules d’extrême droite revendiquant l’héritage des Oustachis de la Seconde Guerre mondiale; un ministre des Anciens combattants qui propose d’établir un registre des «traîtres à la patrie»: le nouveau gouvernement croate ramène le pays vers les épisodes les plus sombres de son passé.

Le paradoxe est que les élections du 8 novembre s’étaient soldées par un match nul entre la gauche et la droite. Une nouvelle formation avait créé la surprise, le Mouvement citoyen (Most), qui s’est retrouvé en position de faiseur de rois. Most est très proche de la puissante Eglise catholique qui a beaucoup œuvré pour un rapprochement avec la Communauté démocratique croate (HDZ), la formation historique de la droite nationaliste croate.

Les deux partis ont voulu créer la surprise en confiant le fauteuil de premier ministre à un parfait inconnu, l’homme d’affaires Tihomir Oreskovic, qui a si longtemps vécu au Canada, menant une brillante carrière dans l’industrie pharmaceutique, qu’il en a presque oublié sa langue natale, le croate. Le 22 janvier, en présentant son cabinet, baptisé la «Tim’s Team», Tihomir «Tim» Oreskovic, voulait provoquer un électrochoc dans l’opinion avec un programme économique très libéral. Les médias locaux ont commenté de manière contrastée le style plus entrepreneurial que politique du premier discours du nouveau chef du gouvernement, mais le «choc» n’est pas venu de là où «Tim» l’attendait.

Levée de boucliers de la société civile

L’annonce du nom du nouveau ministre de la Culture, Zlatko Hasanbegovic, a suscité une levée de boucliers dans les milieux académiques et la société civile croate. L’homme a fait son entrée au Sabor (parlement), sous les lazzis d’une foule scandant: «Goebbels! Goebbels!» Quant au ministre des anciens Combattants, Mijo Crnoja, il n’avait pas encore pris ses fonctions qu’il confirmait son intention d’ouvrir trois registres: celui des «traîtres à la patrie», celui des «agresseurs de la République de Croatie» et celui des profiteurs des «privatisations illégales». La mobilisation s’est développée sur les réseaux sociaux, et près de 10 000 Croates ont recouru à l’humour pour s’autodénoncer avec des justifications du type: «Je regarde les films serbes sans sous-titres» ou encore «à 35 ans, je ne suis toujours pas mariée»…

Tim Oreskovic a tenté de défendre ses ministres, mais la presse croate a sorti une nouvelle bombe: Mijo Crnoja a fraudé le fisc. Alors qu’il dispose d’un appartement à Zagreb, il est officiellement résidant de la petite commune de Samobor, où n’existent pas d’impôts locaux. La «résidence» supposée du ministre dans cette commune se limite à une cabane en planches sur un terrain vierge. Depuis mercredi midi, la coalition gouvernementale est en conclave pour tenter de sortir de la crise. Tomislav Karamarko, vice-premier ministre et chef du HDZ, défend mordicus le ministre des Anciens combattants, jouant la menace, s’il venait à être limogé, d’une forte réaction des puissantes associations de vétérans de la guerre d’indépendance.