A la veille du grand week-end férié du Labor Day (Fête du travail), vendredi dernier, le parc national de Yosemite (Californie) est ouvert, sauf par son accès ouest de Big Oak Flat, situé dans la zone la plus affectée par le Rim Fire, le gigantesque incendie qui sévit depuis deux semaines. Le ciel est dégagé et le tourisme encore possible dans la Yosemite Valley, le site le plus prisé du parc légendaire. Mais un relent de fumée âcre et un léger voile commencent à envelopper les blocs de granit vertigineux, El Capitan et Half Dome.

Parc «pour nous tout seuls»

Le Rim Fire, parti le 17 août à proximité du lieu-dit Rim of the World, dans la forêt nationale de Stanislaus, n’est contenu qu’à 40%, et a déjà brûlé près de 90 000 hectares de végétation (l’équivalent d’une fois et demie la superficie du lac Léman). C’est le quatrième incendie le plus grave de l’histoire de la Californie. «L’enquête sur l’origine du feu progresse», affirmait, dimanche soir, un porte-parole depuis le QG de lutte contre l’incendie, sans confirmer une information parue dans la presse américaine selon laquelle le départ du feu proviendrait d’une ferme de cannabis clandestine et illégale en forêt domaniale.

L’incendie a découragé beaucoup de visiteurs qui, du monde entier, ont souvent réservé des mois, voire des années, à l’avance. Il ne reste que quelques téméraires: «Je reviens d’une randonnée, sur la piste, on avait l’impression d’avoir Yosemite pour nous tout seuls!» s’exclame joyeusement Lynne Hart au Visitor Center. «On est venus quand même, c’est un peu nuageux mais on ne se sent pas en danger», confie Pauline Baroux, une Française dont c’est la première visite. Des touristes suisses n’avaient pas trouvé de place avant l’incendie: «On a profité des annulations, on ne regrette pas, on vient de voir deux ours!» Mais depuis Tunnel View, Aaron Porter, un habitué du parc, constate le manque de visibilité: «C’est à peine si on voit le Half Dome, ce spectacle a toujours été époustouflant, hélas, pas aujourd’hui!»

La qualité de l’air a empiré dans la soirée de vendredi, les vents soufflant vers l’est (et polluant sérieusement la ville de Reno et la région du lac Tahoe) ont soudain viré au sud et rabattu la fumée sur le parc. Au coucher du soleil, on ne voit plus le Half Dome depuis Glacier Point, l’un des points de vue les plus réputés.

Samedi matin, la fumée a envahi toute la vallée, le ciel épais et gris cache un soleil rouge, les cendres volettent dans l’air. «On ne part pas en randonnée», décide Brian Nie, professeur d’éducation physique qui vient deux fois par an avec sa fille de 3 ans, respectant l’alerte à la pollution atmosphérique qui déconseille tout effort physique à l’extérieur, et recommande les plus grandes précautions pour les enfants, les personnes âgées et sensibles.

La lutte contre le Rim Fire – 5000 pompiers-secouristes venus de 41 Etats américains – est coordonnée depuis l’Incident Command Post, un QG basé à l’ouest du parc dans une zone dévastée par le feu. Sur le terrain, Steve Stine, envoyé en renfort par l’US Forest de Caroline du Sud, explique: «On mesure un incendie suivant quatre paramètres, qui sont tous à un niveau critique ici: températures élevées, vents importants, végétation hautement inflammable et une humidité basse. Il y a feu et feu, et celui-ci est catastrophique.»

Paysage lunaire

Sur la Highway 120, une route réputée pour sa beauté, près de l’entrée de Big Oak Flat, fermée à la circulation, on ne voit plus que des camions de pompiers, des rideaux d’arbres calcinés de chaque côté, des piles de troncs d’arbres abattus, car trop dangereux. Paysage lunaire, température de fournaise, fumée âcre et épaisse, avec des feux encore actifs à certains endroits, dans le sous-bois, des pompiers arrosent les brûlots incandescents. «On appelle ça le mop-up dans notre jargon, explique Ed Bartley, de la caserne de pompiers de Modesto, le visage noirci; c’est-à-dire qu’on nettoie et on sécurise les zones brûlées pour empêcher le feu de repartir.»

Leur stratégie préventive consiste aussi à allumer des contre-feux autour du périmètre de l’incendie, «attaquer le feu avec le feu» pour créer des zones tampons et stopper la progression dans le parc. Une des priorités du week-end passé visait la protection du grand camping de Hodgdon Meadow et des bâtisses anciennes et historiques qui sont l’un des atouts du parc. Mais, sur le terrain, pour les sauveteurs, les incertitudes demeurent: «On espère avoir sauvé les 24 très vieilles loges d’Aspen Valley, qui étaient indemnes il y a trois jours, mais on ne sait encore rien», commente Mike Martin, un ranger du parc.

Avec l’accord du secrétaire à la Défense, la technologie militaire de pointe est venue en renfort: depuis mercredi 28 août, un drone (MQ-1) «piloté» par la National Guard de Californie et décollant de l’aéroport de Victorville, surveille le terrain et transmet en temps réel des données sur le tracé du feu, son intensité et les zones de risque pour les pompiers-secouristes. Une aide précieuse, car la couche de fumée rend les survols aériens très dangereux pour les pilotes.

Avec un coût provisoire estimé à 55 millions de dollars (41 millions d’euros), entièrement à la charge de l’Etat, le Rim Fire a déjà relancé le débat sur la gestion écologique des parcs nationaux et des forêts domaniales face aux changements climatiques, et sur le financement nécessaire, d’autant que le parc de Yosemite a une place spéciale dans le cœur des Américains.