En homme de terrain, Robert Fisk aime répondre aux questions par des anecdotes. Et le grand reporter britannique, entré dans la légende pour avoir interviewé à trois reprises Oussama ben Laden, n’en manque pas. Invité à parler lundi du génocide arménien au Festival du film et forum international sur les droits humains, il se souvient s’être promené en Turquie avec un survivant, qui a reconnu devant lui la porte de sa maison familiale. Une porte close à jamais. «En Pologne, un Juif spolié lors de l’Holocauste peut récupérer sa demeure, observe-t-il. En Turquie, un Arménien dans le même cas n’a pas ce droit. Pourquoi?»
Depuis quarante ans qu’il couvre le Moyen-Orient, Robert Fisk a eu de nombreuses occasions d’étudier cette page de l’histoire moderne. «Le massacre des Arméniens a été le premier génocide du XXe siècle, rappelle-t-il. Il est lié par ailleurs au deuxième, le génocide des Juifs, puisque certains instructeurs allemands de l’armée turque y ont assisté avant de se retrouver dans les rangs de l’armée allemande à perpétrer les mêmes atrocités en Biélorussie et en Ukraine. Et pourtant, il est non seulement nié par les autorités turques mais aussi négligé par certains gouvernements occidentaux.»
Contradictions britanniques
«Winston Churchill n’a pas hésité à qualifier cette tragédie de génocide, poursuit le journaliste. Des décennies plus tard cependant, un autre premier ministre britannique, Tony Blair, s’y est refusé. Je vis à Beyrouth, une ville qui abrite 350 000 Arméniens. Je compte moi-même dans cette communauté beaucoup d’amis dont les grands-parents ont été victimes d’un génocide. Et mon propre pays n’ose pas appeler cette tragédie par son nom.»
Robert Fisk évoque un dernier souvenir. Il s’est retrouvé il y a quelques années à table avec des dizaines de Turcs et n’a pu s’empêcher de leur demander ce qu’ils pensaient du génocide arménien. «Un grand silence s’est fait, confie-t-il. Et puis, des voix se sont élevées pour répondre que tous les Turcs savent bien qu’il a eu lieu. Les citoyens ordinaires ne sont pas dupes. C’est l’Etat qui ne le reconnaît pas.»