Monde arabe
Après un mois de bombardements, Moscou affiche un bilan «réussi» de ses opérations. Les États-Unis sont contraints de réagir

Ainsi racontée, l’efficacité de la guerre est spectaculaire. Mardi, le chef d’état-major russe, le général Andrei Kartapalov, alignait les «réussites» des frappes aériennes commencées le 30 septembre dernier: 2084 cibles terroristes (soit de l’organisation Etat islamique et d’Al Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida) détruites; dans le lot, 287 centres de commandement, 52 camps d’entraînement et 155 dépôts de munition ravagés par les avions russes.
Jamais encore, depuis que la Russie s’est engagée aux côtés de l’armée syrienne de Bachar el-Assad, le ton n’avait été à ce point triomphaliste. C’est bien clair, résumait encore celui qui assure le commandement des opérations russes en Syrie: en un peu plus d’un mois, la Russie a grosso modo atteint tous les objectifs fixés. «Nous avons réussi à désorganiser le système de commandement terroriste, à infliger de lourdes pertes et à saper le moral des terroristes, ainsi qu’à convaincre leurs soutiens [lire les pays du Golfe persique] qu’une poursuite du financement de ces criminels se révèle futile.»
Un tiers de civils tués
Ces accomplissements militaires n’ont pas été confirmés par une autre source. Ils viennent même se heurter frontalement à d’autres tentatives de bilan faites ces derniers jours. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), dont les chiffres font d’ordinaire autorité, évoquait quelque 600 morts découlant des opérations russes, dont un bon tiers de civils, surtout des femmes et des enfants. En croisant les informations provenant de tous les camps, l’Institute for the Study of war confirmait, lui, que les bombardements de l’aviation russe continuaient en grande partie de se concentrer dans des régions tenues par les factions rebelles syriennes, et non par l’organisation de l’Etat islamique (ou Daesh selon l'acronyme arabe).
Peu importent ces contradicteurs. Peu importe le fait que, sur le terrain, l’Etat islamique ait encore poursuivi son avancée en s’emparant ces derniers jours de la petite ville de Maheen, dans la province de Homs, qui vient s’ajouter à la prise de plusieurs villages à proximité de la ville d’Alep, dans le nord. «Nous avançons selon le plan prévu, insiste une source diplomatique russe qui suit de près ce dossier, mais qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement. Notre armée fait son travail, et nos diplomates font le leur.»
De fait, la Russie à joué les premiers rôles pour organiser, à Vienne, une rencontre multilatérale qui, pour la première fois, promettait d’amener autour de la table des négociations les principaux acteurs internationaux de ce conflit, y compris l’Iran. Cette tentative n’en est encore qu’à des balbutiements, et Téhéran menace même de s’en retirer faute de la moindre entente trouvée avec son «archi-rival» saoudien. Mais la Russie entend persévérer et organiser prochainement d’autres rencontres à Moscou.
Informations fournies par des «opposants» syriens
Plus encore. Cultivant l’illusion que ce sont eux qui mènent désormais un bal dans lequel tous les participants sont unis dans la même danse, à savoir la lutte contre «les terroristes», les responsables russes insistaient hier sur deux éléments supplémentaires: d’abord, ils saluaient la mise en place d’une toute nouvelle collaboration avec la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. L’objectif? Adopter une procédure pour éviter que des appareils russes et américains puissent entrer en collision dans un espace aérien syrien aujourd’hui saturé d’appareils de combat.
Deuxième élément: le même général Andrei Kartapalov affirmait que c’est sur des informations fournies par «des opposants» syriens que l’armée russe s’était basée pour déterminer ses cibles avec succès. Sous-titre: au-delà des «terroristes» et de leurs soutiens étrangers, l’opposition syrienne existe bel et bien, et elle est prête à se ranger derrière Moscou.
L’omniprésence russe affichée depuis un mois semble déjà avoir contraint l’administration américaine à réagir. Affirmant qu’ils soutenaient désormais une armée appelée «les Forces démocratiques syriennes» – en réalité quasi exclusivement composée de combattants kurdes – les Etats-Unis se sont aussi résignés à concéder l’envoi de troupes d’élite sur le terrain. Leur nombre reste limité (quelques dizaines d’individus) mais le signal contredit les promesses faites jusqu’ici par Barack Obama d’exclure toute présence de «bottes américaines» sur le terrain.
Dans ce jeu de poker menteur, une autre déclaration russe, prononcée également hier: le maintien au pouvoir en Syrie de Bachar el-Assad «n’est pas crucial», affirmait Maria Zakharova, la porte-parole des Affaires étrangères russes, semblant dévier de la position officielle russe maintenue jusqu’ici. Autrement dit, les diplomates russes ont encore quelques lapins dans leur chapeau.