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En Russie, la démocratie assassinée et l’indignation

Plus de 70 000 personnes ont défilé dans le silence. La mobilisation rappelle, par son ampleur, les premières manifs anti-Poutine, en 2011-2012

Le défilé à Moscou. — © AFP
Le défilé à Moscou. — © AFP

Moscou défile pour Boris Nemtsov

Russie Plus de 70 000 personnes ont défilé dans le silence

La mobilisation rappelle, par son ampleur, les premières manifs anti-Poutine, en 2011-2012

«Ces balles sont pour chacun d’entre nous»: la banderole s’étire sur toute la largeur du cortège. Dans les premiers rangs, une multitude de portraits de Boris Nem­tsov. Les visages sont graves, on ne parle qu’à mi-voix, l’atmosphère est au recueillement. Des dizaines de milliers de personnes sont sorties sur les berges de la Moskova ce dimanche pour honorer la mémoire de l’opposant assassiné. Le cortège a longuement piétiné sur place, puis s’est avancé lentement dans la grisaille glaçante, en s’étirant sur les deux kilomètres du parcours.

Pas de slogans, très peu de pancartes, beaucoup de fleurs, une ­véritable marche funèbre, d’une infinie tristesse. Au départ, l’opposition avait prévu de se rassembler dimanche dans un quartier excentré de la capitale – le seul endroit pour lequel les autorités ont bien voulu délivrer des autorisations – sous le mot d’ordre «Non à la guerre en Ukraine» et autres slogans anti-Poutine. Boris Nemtsov était un des principaux organisateurs de cette marche intitulée «Printemps», distribuant des tracts dans le métro et des interviews à qui voulait l’entendre. Malgré tous ses efforts, les pronostics de mobilisation n’étaient pas très encourageants…

A l’aune des derniers rassemblements de l’opposition, devenus de plus en plus rares et n’attirant guère que les plus tenaces, la mobilisation à la mémoire de Boris Nemtsov a été considérable et a rappelé, par son ampleur, les premières manifs du mouvement de contestation anti-Poutine, en 2011-2012. L’humour et l’espoir en moins. «C’est la première fois que je suis sortie manifester, en général, j’ai peur des débordements, confie, la voix tremblante d’émotion, Elena, une designer de 50 ans, emmitouflée dans un châle blanc. Mais trop, c’est trop. L’assassinat de Boris Nemtsov, c’est une attaque sérieuse contre nos droits citoyens. Il faut protester, sinon jusqu’où iront-ils?»

A l’instar d’Elena, beaucoup de gens ne sont pas sortis pour défendre une opinion politique, ni même en vertu d’une affection particulière pour l’opposant, mais parce que ce crime semble inaugurer une nouvelle époque, sombre et dangereuse, dans la vie publique russe. Larissa avance en serrant contre elle une pancarte sur laquelle on peut lire: «Je n’ai pas peur». «Ce crime, c’est un acte d’intimidation, explique doucement cette cheffe des ventes. Ce n’est pas un hasard si Boris Nem­tsov a été tué avant la marche prévue le 1er mars. Il faut montrer que malgré tout, nous campons sur nos positions, que nous n’avons pas peur.»

C’est le message que voudrait faire passer l’opposition, celle qui reste, orpheline d’un de ses plus charismatiques leaders. Pour Ilya Yachine, un des très proches compagnons de route de Boris Nem­tsov, cet assassinat est un acte terroriste: «Quand on tue quelqu’un de manière aussi démonstrative dans le but d’intimider la société, cela s’appelle du terrorisme. Il faut faire en sorte que les terroristes ne parviennent pas à leurs fins. C’est très important de surmonter la peur, la terreur que peuvent ressentir de nombreux Russes aujour­d’hui. Si nous nous éparpillons, si nous nous taisons, si nous quittons le pays, ce sera une trahison contre Boris Nemtsov», martèle l’opposant, les traits tirés.

Au bout du parcours, au milieu du pont Moskvoretsky, le lieu du crime est marqué par un amoncellement de fleurs fraîches, de photos, de bougies, de jouets en peluche. Avant de se disperser, les gens s’arrêtent un instant pour se recueillir. «C’est toute une époque qui s’achève, soupire Vladimir, un ingénieur de 55 ans, qui se souvient encore des débuts politiques de Boris Nemtsov. Des politiciens de sa trempe, on n’en fait plus.»

Des milliers de personnes se sont également rassemblées dans d’autres villes de Russie, plus de 6000 à Saint-Pétersbourg, mais aussi à Ekaterinbourg, dans l’Oural, et à Tomsk, en Sibérie, ainsi qu’à l’étranger où des rassemblements ont été organisés à Paris, Kiev, Budapest, Varsovie et Vilnius.

«Si nous nous taisons, si nous quittonsle pays, ce sera une trahison contre Boris Nemtsov»