L’Assemblée générale des Nations unies a voté jeudi matin (à New York) l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme (CDH). Réunie en session spéciale urgente sur l’Ukraine, elle a voté par 93 pour, 24 contre et 58 abstentions la suspension avec effet immédiat de la Russie du CDH. Un ratio de 5 contre 1, étant donné que les abstentions ne comptent pas. C’est la première fois qu’un membre est exclu de l’organe onusien chargé des droits humains. En 2011, la Libye, plongée en plein Printemps arabe, avait fait elle-même la demande de se retirer du CDH.

Propos «pathétiques»

Avant le vote, l’ambassadeur d’Ukraine auprès de l’ONU à New York, Sergyiy Kyslytsya, a exhorté l’Assemblée générale à ne pas céder à l’indifférence face aux horreurs commises dans son pays, se référant notamment à l’apathie de la communauté internationale lors du génocide au Rwanda en 1994. «Il est question ici de sauver le Conseil des droits de l’homme du naufrage.» Le représentant russe a aussitôt riposté: «Ce n’est pas le temps de verser dans des déclarations pathétiques. […] Pour nous, c’est une tentative des Etats-Unis de marquer leur position de domination et de relations coloniales dans le monde.»

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Les alliés habituels de la Russie sont tous montés à la tribune pour refuser la résolution de suspension, du Kazakhstan à l’Iran, de la Corée du Nord au Venezuela en passant par Cuba. Pour le Kazakhstan, exclure la Russie du CDH «ne va pas contribuer à la résolution du conflit». Pour Caracas, la résolution occidentale équivaut à une «destruction du CDH» qui va provoquer une «crise systémique de confiance au sein du système onusien». Le représentant de Syrie n’a pas été moins véhément, fustigeant le «deux poids, deux mesures» des Occidentaux quand il s’agit de dénoncer les violations des droits humains. Il a mentionné le cas des Palestiniens dont les droits sont constamment violés par l’occupant israélien. «Nous n’avons aucune preuve de graves violations des droits de l’homme» en Ukraine, a-t-il ajouté. La Chine, qui s’est abstenue par le passé, a rejeté la résolution, estimant qu’elle «créait un dangereux précédent» qui nuirait à la «gouvernance future de l’ONU». De son côté, la Biélorussie, qui contribue à l’effort de guerre russe en Ukraine, a fait dans l’hyperbole, relevant que la résolution allait causer un «déséquilibre de tout le système international» qui pourrait mener à «l’effondrement des Nations unies».

Attendre la commission d’enquête

De leur côté, les représentants du Sénégal et du Brésil ont annoncé leur abstention lors du vote, précisant qu’il importait d’attendre les conclusions de la Commission d’enquête indépendante sur l’Ukraine établie au début mars par le CDH.

Cet épisode va laisser des traces. Il s’inscrit dans une série de mesures prises contre la Russie dans le cadre du système onusien. Le 24 mars dernier, l’Organisation internationale du travail adoptait une résolution prohibant aux représentants russes de participer à des réunions techniques ou d’experts. L’Union internationale des télécommunications a aussi adopté des mesures dans ce sens, empêchant les délégués russes d’accéder à des fonctions électives au sein de commissions. Même la Commission économique pour l’Europe des Nations unies remet en question la participation de la Russie dans certains programmes.

L’exclusion de la Russie remet sur le devant de la scène une question qui occupe les missions diplomatiques depuis les débuts du CDH. Les Etats qui violent massivement les droits humains doivent-ils avoir le droit de siéger au sein du principal organe onusien traitant des droits fondamentaux? Une telle ligne rouge est très compliquée à tracer, aucun Etat ne présentant un bilan parfait en la matière. Et si on exclut la Russie, que faire de la Chine et de la politique qu’elle mène dans le Xinjiang envers la minorité ouïgoure? Il fut un temps où l’ex-ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, puis conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump John Bolton, voire l’ONG UN Watch, plaidaient pour une ligue des nations vertueuses. Mais quelles sont-elles? Là aussi les débats houleux qui ont eu lieu au Palais des Nations unies à Genève sur l’affaire de l’Afro-Américain George Floyd, asphyxié sous le genou d’un policier, montrent qu’aucun Etat n’est épargné.

Philosophie du Conseil

Ce n’est d’ailleurs pas la philosophie du Conseil des droits de l’homme, créé en 2006 pour remplacer la commission éponyme que beaucoup jugeaient discréditée en raison d’une politisation extrême. Le CDH n’a pas pour objectif de nommer et dénoncer avec véhémence les autres Etats. Il entend davantage promouvoir la coopération entre Etats pour que chacun puisse améliorer son bilan en matière de droits humains. C’est aussi le sens de l’Examen périodique universel que le CDH a mis en place, un examen par les pairs qui contraint chaque pays à présenter un état des lieux. Dans les faits, avec la nouvelle géopolitique mondiale qui se met en place, le CDH s’est lui aussi fortement politisé. L’exclusion de la Russie fait partie de ce risque de forte division au sein d’un organe qui, jusqu’ici, était généralement moins bloqué que le Conseil de sécurité, où le droit de veto entrave systématiquement l’adoption de résolutions impliquant l’un des cinq membres permanents, la Chine, la Russie, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni.