Il n’y a pas si longtemps, il ne s’intéressait que de loin à la politique. Il était plus connu pour sa vie de flambeur. Il était aussi plus affairé à gérer la société paternelle de travaux publics Saudi-Oger basée en Arabie saoudite. Samedi pourtant, Saad Hariri, 39 ans, est devenu le nouveau premier ministre libanais, un poste réservé aux sunnites en vertu des accords de Taëf qui prévoient une répartition confessionnelle des principales responsabilités de l’Etat. Samedi, le président chrétien de la République libanaise, Michel Sleimane, l’a chargé de former un nouveau gouvernement qui devra gérer un pays en équilibre fragile et accablé par plus de 50 milliards de dollars de dette.
Très populaire au Pays du Cèdre, il a été le grand vainqueur des élections législatives du 7 juin, où sa coalition du 14 mars a remporté la majorité des sièges au parlement et empêché le mouvement chiite Hezbollah soutenu par l’Iran et la Syrie d’obtenir une victoire que les Occidentaux redoutaient.
En 2005, Saad Hariri aurait déjà pu accéder au poste de chef du gouvernement puisque sa coalition remporta les législatives. Mais il se contenta d’agir en qualité de leader de la majorité parlementaire, laissant Fouad Siniora occuper la fonction. Aujourd’hui, il prend une sorte de revanche sur le destin de sa famille. En février 2005, son père Rafic Hariri était assassiné lors d’un attentat en plein Beyrouth. A la suite de cet événement traumatique, il prit la tête du Courant du futur et de la coalition du 14 mars pour fustiger Damas dont il est convaincu de la responsabilité dans la mort de son père. A ce moment, la rhétorique anti-syrienne de Saad Hariri ne connaît pas de limites. A ses yeux, la Syrie n’était qu’un «régime d’assassins». Damas nia toute implication, mais la très forte pression exercée par la coalition du 14 mars força la Syrie à retirer ses troupes du pays malgré une présence de près de trente ans au Liban. Saad Hariri eut aussi l’impression d’obtenir une autre victoire lorsque fut établi le Tribunal spécial pour le Liban censé faire la lumière sur l’assassinat de son père.
Son accession au poste de premier ministre ne relève toutefois pas du hasard. Depuis quelque temps, ses diatribes contre Damas ont disparu. Professeur à l’American University de Beyrouth, Karim Makdessi pense d’ailleurs que sa nomination est déjà le résultat d’un consensus. «Il arrive grâce à un accord régional notamment entre Saoudiens et Syriens.» Saad Hariri a déjà déclaré qu’il allait former un gouvernement d’union nationale. Dans cette optique, il a rencontré pendant quatre heures jeudi la principale figure de l’opposition, Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah. Malgré cela, la formation d’un gouvernement restera un exercice difficile. Saad Hariri n’a encore rien dit sur la place qu’il entend octroyer à l’opposition formée des deux partis chiites Hezbollah et Amal ainsi que du Courant patriotique libre du chrétien Michel Aoun. Par le passé, il avait pourtant été le principal opposant à l’octroi d’une minorité de blocage à ces mêmes formations. Il ne pipe plus mot non plus sur ce qu’il considérait comme une ligne rouge: le désarmement du Hezbollah. Le Parti de Dieu dispose pourtant de moyens militaires (on parle de 40 000 roquettes) qui dépassent largement ceux de l’armée régulière libanaise.
Milliardaire, Saad Hariri a fait fortune en Arabie saoudite dont il a aussi la nationalité. Il a hérité d’un capital de sympathie de son père. Rafic Hariri a été le principal architecte de la reconstruction du Liban après la guerre civile (1975-1990). Il suffit de se rendre dans le centre-ville de Beyrouth pour le mesurer. Diplômé de l’Université américaine de Georgetown, il a le soutien des Occidentaux. En 2007, le président français Jacques Chirac, très proche de la famille Hariri, décora Saad de la Légion d’honneur. Aujourd’hui, son défi majeur sera de maintenir les équilibres confessionnels au sein du gouvernement. Sa marge de manœuvre pourrait toutefois être conditionnée par le contexte régional. Mais aussi par le dialogue qui pourrait s’instaurer entre Washington, Damas et Téhéran.
La nomination d’Hariri est peut-être déjà le produit d’un consensus